Au village, les femmes ont une vie difficile. Le travail est rude et la vie du foyer tout autant. Sans elles, la communauté ne tiendrait pas. Pourtant, elles ne sont pas considérées. Elles ont des capacités, mais comme elles n’ont pas ou peu été à l’école, elles-mêmes se sous-estiment souvent.

Ceci dit, il existe de groupements féminins dans les villages qui réunissent des centaines de femmes pour mener des activités. C’est dans ce cadre que je suis intervenue pendant des années en tant qu’animatrice de développement rural. J’organisais des causeries sur les activités génératrices de revenus, l’hygiène, la santé, etc.

« Avec les hommes, il faut y aller progressivement sur la planification familiale »

Côté planification familiale, certaines vont dans des centres mais ne peuvent pas en parler à leur mari. « Femme, il faut accoucher seulement » disent-ils, « car c’est Dieu qui donne les enfants ». Alors elles prennent le traitement en cachette parce qu’elle savent que leur santé en dépend. Une des raisons pour lesquelles elles me faisaient confiance, c’est que je vivais auprès d’elles, au village, avec ma famille. Je partageais les mêmes soucis et donc elles se livraient plus facilement. Elles me racontaient leurs difficultés. Certaines venaient même chez moi la nuit. Je leur expliquais les avantages et les effets secondaires des produits contraceptifs pour qu’elles puissent faire leur propre choix.

J’ai eu des problèmes quand des maris apprenaient que leurs femmes avaient fait ceci-cela et qu’ils n’étaient pas d’accord. C’est pour cette raison que nous sensibilisons aussi les hommes. Bien sûr, on ne parle pas d’emblée de la santé de la reproduction. Il faut y aller progressivement. Au fur et à mesure des causeries, on traite de sujets comme le développement en général, l’agriculture, les questions de genre. Cela prépare le terrain. Quand ils sont prêts, nous expliquons tous les problèmes que posent des enfants trop nombreux et rapprochés. Intervenir en binôme homme-femme permet d’être complémentaires. Et certains maris nous aident : lorsqu’ils sont bien « genrés », ils témoignent des moyens qui manquent, des enfants fragiles ou décédés prématurément, des frais de médicaments, etc. Les autres écoutent attentivement et commencent à réfléchir.

« On ne peut pas fermer les yeux seulement pour avoir un mari »

Même dans ma propre famille, j’ai dû intervenir. Je suis d’une ethnie bissa et mon père avait deux femmes. Ma maman était fatiguée par ses grossesses multiples et sa vie de travail. Alors un jour, j’ai expliqué à mes deux mères qu’elles pouvaient planifier. Ma vraie mère a accepté d’y réfléchir, mais sa coépouse a refusé et tout raconté au vieux qui n’a pas accepté la chose. On est allé me chercher et, quand je suis arrivée dans la cour familiale, on m’a carrément jugée. « Tu as perdu la tête pour te mêler de la vie sexuelle du papa ? Cela ne te regarde pas. Il fait comme il veut ». J’ai respiré un bon coup et j’ai expliqué que c’était moi le soutien de la famille, moi qui ramenais l’argent tandis que lui ne touchait pas encore sa pension de retraite. En plus, cet argent venait de mon travail pour la planification familiale et il n’était pas fâché lorsque cela rentrait. Mon père m’a regardé en silence et il n’a plus jamais été question de cela. J’ai même amené ma maman à l’ABBEF pour qu’elle puisse mettre un implant.

Je ne regrette pas mes combats. C’est difficile, très difficile parfois, mais il faut s’affirmer. J’ai participé aux travaux et à l’adoption de la loi « portant prévention et répression des violences faites aux femmes et aux filles ». J’ai entendu des choses terribles. Des députés jugeaient le texte discriminatoire en invoquant aussi des hommes battus. Même certaines intellectuelles le rejetaient de peur que plus personne n’épouse leurs filles. On ne peut pas fermer les yeux seulement pour avoir un mari. Et la mauvaise foi est intolérable quand la violence tue des femmes dans leur foyer, après des années de silence. Mais j’ai espoir quand je vois des jeunes se lever. Grâce aux études, à l’engagement de leur mère, à internet, au dialogue, beaucoup savent décrypter ce qui se passe. Pour eux, l’autorité se prouve et ils tolèrent de moins en moins une parole qui ne fait pas sens. Ce que nous, les femmes, avons subi, nos filles ne l’accepteront pas facilement pour elles. C’est notre vœu le plus cher.