Au Niger, toutes les deux heures, une femme décède de mortalité maternelle, que ce soit pendant la grossesse, durant l’accouchement ou en post-partum. Je ne sais pas si c’est vrai, mais on m’a dit qu’en Tunisie, il est si rare qu’une femme meure en couche que le Président se déplace pour en comprendre les raisons. Imaginez-vous ce que cela donnerait ici ? Le président ne ferait que cela : il serait sans cesse dans les maternités du pays ! Remédier à cette situation devrait être une priorité absolue de santé publique. Il faut concentrer les efforts sur la planification familiale, en particulier pour espacer les naissances car cela diminuerait considérablement le risque de mortalité.

Bien sûr des actions sont menées, mais la volonté politique n’est pas suffisante face à un drame de cette ampleur. Et il y a un problème de coordination. Les ministères concernés coopèrent peu et le personnel change trop souvent. Cela nuit à la qualité et à la continuité du travail. La coordination fait aussi défaut entre ONG et partenaires techniques ou financiers. Chacun veut tirer la couverture à soi et l’information reste confinée, ce qui empêche de faire converger les objectifs ou de mutualiser les ressources. Pourtant, avec le partenariat de Ouagadougou, il existe une coalition nationale pour le repositionnement de la planification familiale, mais elle reste quasiment inactive.

« Seule une politique volontariste peut contrecarrer grossesses précoces et mortalité maternelle »

Le monde a changé, le Niger a changé, mais on ne veut pas le regarder en face. Autrefois, quand j’étais encore dans la région de Maradi, les jeunes ne parlaient pas tellement de sexe. C’était la réussite qui comptait : il fallait travailler pour devenir quelqu’un, pour mériter sa place dans la communauté ou bien à l’université. La honte de tomber enceinte hors-mariage et la peur d’être chassée étaient des mécanismes sociaux très dissuasifs. En revanche, la perte de la virginité lors de la nuit de noces attestait la bravoure de la jeune épouse qui n’avait jamais cédé face aux propositions. On louait son honneur et celui de sa famille par des cadeaux. Je ne dis pas que je suis nostalgique. Je dis seulement que c’était une forme de contrôle qui marchait.

Aujourd’hui, le sentiment de responsabilité envers la communauté s’est affaibli avec l’augmentation de la population, les déplacements, les technologies de communication, les modes de consommation, etc. On voit bien l’individualisme, l’inconscience des risques, le mythe de la réussite facile, la recherche du plaisir immédiat. Face à ce changement que fait-on ? Est-ce qu’on laisse les gens faire des enfants à tort et à travers ? Est-ce qu’on continue de s’illusionner sur une tradition qui ne fonctionnera plus jamais comme avant ? Est-ce qu’on laisse la place aux charlatans avec leurs gris-gris, leurs ceintures et leurs potions ? Non ! Seule une politique volontariste de santé sexuelle et reproductive, avec la planification familiale, peut contrecarrer les grossesses précoces et la mortalité maternelle.

« On a appris aux jeunes à se taire devant les adultes, alors comment voulez-vous qu’ils puissent se livrer facilement ? »

Sur le terrain, il s’agit de s’adapter aux besoins des bénéficiaires. Lorsque je dirigeais le centre national de santé de la reproduction, nous avons constaté que les hommes étaient gênés quand les condoms étaient distribués par des femmes. Alors j’ai confié cette tâche à un jeune homme, Lawali. Rapidement, il nous a confié que des jeunes filles venaient le voir pour la pilule, parce qu’elles se sentaient plus proches en âge et surtout moins jugées que par les sages-femmes. On a appris aux jeunes à se taire devant les adultes, alors comment voulez-vous qu’ils puissent se livrer facilement ?

Et si les gens ne viennent pas à nous, il faut aller vers eux. Grâce à notre outil de suivi des consultations, nous nous avons vu qu’un certain nombre de patientes ne venaient plus au bout d’un ou deux mois. Nous avons donc créé une brigade de jeunes pour faire des visites à domicile. En discutant discrètement, ils essayaient de comprendre la situation et, si besoin, de les convaincre de ne pas abandonner leur traitement. C’est cela le travail de proximité.