Je devais avoir un peu moins de quinze ans lorsque j’ai vu un téléfilm qui parlait de planification familiale. Si j’ai bonne mémoire, c’était l’histoire d’une jeune fille qui avait déjà eu plusieurs enfants. Elle avait perdu son travail et se retrouvait seule à la maison avec les petits. Puis elle est retombée enceinte. Comme elle ne supportait plus le poids de ses maternités successives, après la dernière naissance, elle finit par enterrer son enfant vivant.

J’ai été très touché par ce film. Les images revenaient. Je me sentais d’autant plus solidaire de toute cette souffrance que ma propre mère a eu neuf enfants. Il est clair que sa santé a été très affaiblie par ses grossesses rapprochées. Elle est morte à 42 ans, moi j’en avais 10. Pour un enfant, perdre sa mère est une injustice. Il devient victime du manque d’amour dont on a tant besoin à cet âge. Une fois adulte, je n’avais pas envie que d’autres vivent ce que j’avais vécu. C’est pour cela que j’aborde ces questions, à la fois en tant qu’homme et tant qu’imam.

« Outre la durée de l’allaitement, Le Coran invoque aussi la capacité matérielle à accueillir un enfant sans nuire au reste de la famille »

L’espacement des naissances est très clairement signifié dans le Coran. Le verset 233 de la sourate 2 (البقرةAl Baraqah – La Vache) prescrit l’allaitement maternel pendant une durée complète de deux ans. Dans son verset 14, la sourate 14 dite Luqman (لقمان,) confirme ce délai avant le sevrage. Il est même porté à trente mois au verset 15 de la sourate 46 (الأحقافAl Ahqaf – Les Dunes). Des hadiths  (les dits du Prophète) vont dans le même sens. A dire vrai, puisque le Coran est contre tout ce qui menace la vie de l’être humain, il n’est pas étrange qu’il s’oppose aux maternités rapprochées et prévoie une politique de planification familiale. Outre la durée de l’allaitement, il invoque aussi la capacité matérielle à accueillir un enfant sans nuire au reste de la famille : « Au père de l’enfant de les nourrir et vêtir de manière convenable. Nul ne doit supporter plus que ses moyens. La mère n’a pas à subir de dommage à cause de son enfant, ni le père, à cause de son enfant. Même obligation pour l’héritier. »  (Sourate 2, verset 233).

Néanmoins, plusieurs religieux persistent à critiquer la planification familiale malgré tout. Certains disent que pour chaque bouche ouverte, il y a un mets à mettre dedans. Mais n’ont-ils pas des yeux pour voir ces enfants malnutris dans des familles où les parents ne peuvent pas subvenir à leurs besoins élémentaires ? Par ailleurs, s’ils considèrent que la maîtrise des naissances est haram (حَرَام – illicite, est-il moins haram de laisser un enfant mourir faute de moyens pour payer ses soins parce que la fratrie est trop grande ? Et que dire de ceux qui nous nous accusent d’être inféodés à l’Occident sans autre argument que la seule idéologie politique ?

« À partir des textes, nous avons rédigé un argumentaire islamique »

C’est pour continuer à expliquer et à convaincre que je contribue à la coordination du Réseau Islam & Population créé en 1995. Pour ce faire, nous avons rédigé un argumentaire islamique sur la planification familiale. Il existe en français, en langue et en arabe. Cela permet de replacer le débat au cœur des textes sacrés.

Après avoir recensé les imams du pays, nous avons organisé des sessions d’orientation, en partenariat avec le ministère de la santé et des organisations de la société civile. Ces formations de deux jours commencent par l’exposé d’une sage-femme sur les conséquences médicales pour la femme et l’enfant en l’absence de planification familiale. Ensuite, un imam intervient sur les  aspects religieux et ouvre le débat sur notre argumentaire. Sur les 3.000 à 3.500 imams du pays, 2.500 ont été formés dans les 14 régions du Sénégal. Et chacun d’eux constitue un relais auprès des populations lors des prêches, des cérémonies, des médiations, des rencontres entre confréries, des émissions de radio ou de télévision, etc. Ce travail de proximité contribue sans nul doute aux résultats obtenus : le taux de prévalence contraceptive est passé d’environ 12% en 2011 à un peu plus de 20% aujourd’hui.