Statistiquement, l’absence de planification familiale est directement liée au niveau d’éducation et au milieu social. Il n’y a pas très longtemps, j’assistais à une petite fête préparée par l’organisation dans laquelle travaille mon épouse. La plupart de ses collègues appartenant à la classe moyenne avaient deux enfants, parfois trois. Quand on regardait les gardiens ou les chauffeurs, leurs familles comptaient cinq, six, sept enfants qui couraient dans tous les sens.
Dans les familles nombreuses, avec la précarité, les parents sont vite submergés. Les enfants s’élèvent bien souvent entre eux. Le père n’arrive pas à les loger, à les nourrir ni à les habiller correctement. Il n’a plus la disponibilité physique et mentale pour les suivre, les écouter, les encadrer. En perdant ce rôle, il perd aussi son autorité. Alors les enfants cherchent eux-mêmes leur propres repères, avec tous les risques que cela comporte.
« Il y a même des gamins de 13 ou 14 ans qui enceintent des filles de leur âge ! »
J’ai grandi dans deux quartiers de la périphérie, Complexe et Gamkallé. C’était un peu le royaume de la misère avec violence et drogue. Beaucoup de prostituées aussi, majoritairement ghanéennes à cette époque. Heureusement pour moi, j’ai eu la chance d’adhérer au mouvement scout et cela m’a évité d’avoir de mauvaises fréquentations. À 19 ans, j’ai été formé à la pair-éducation sur la santé sexuelle et reproductive ; j’allais régulièrement passer les messages, de fada en fada. Les jeunes étaient là, dans la rue, regroupés autour du thé pour parler de tout et de rien. Afin de contribuer plus facilement à la causerie, j’amenais le thé. J’expliquais les choses, je leur faisais écouter des émissions radiophoniques enregistrées sur des cassettes audio. Il y avait aussi le fameux pénis en bois pour expliquer la pose du préservatif. Certains riaient, d’autres crânaient, mais comme ils avaient tous envie d’en savoir un peu plus et d’être rassurés, ils écoutaient quand même le grand frère.
En 2017, les fadas sont toujours là. Les jeunes mangent, dansent, font la fête jusque tard dans la nuit, livrés à leur désœuvrement. Et qui peut penser qu’il ne se passe rien sexuellement ? Il y a même des gamins de 13 ou 14 ans qui enceintent des filles de leur âge ! Pourtant, la pair-éducation a disparu faute de moyens. Ne reste que le business des préservatifs, laissé aux vendeurs ambulants qui proposent aussi des cigarettes, des aphrodisiaques et je ne sais quoi d’autre. Il n’y a plus d’éducation sexuelle au collège. On dit qu’il ne faut pas leur parler du sexe parce qu’il y a des barrières religieuses. Mais ces gamins, eux, n’ont pas ces barrières. Ils ont même plusieurs partenaires souvent. On se cache derrière notre petit doigt. Les jeunes de ces quartiers ne sont plus une priorité : c’est une génération sacrifiée qui peine à trouver son chemin faute de repères.
« Quand les parents ou les autorités s’inquiètent, c’est toujours trop tard »
Je ne comprends pas cet aveuglement collectif au niveau politique, religieux et populaire. Le sexe est présent partout sur internet et les réseaux sociaux. Les publicités l’affichent aux yeux de tous dans la rue ou à la télévision. Et sur les SMS, les messages Twitter ou WhatsApp, les ados se disent déjà du « ma belle » et « mon chéri ». Pourquoi refuser de voir cela ? Quand les parents ou les autorités s’inquiètent, c’est toujours trop tard : la fille est déjà enceintée et le gamin est jeune père.
Il faut sortir du silence, démystifier la sexualité et expliquer que tous les plaisirs ne sont pas synonymes de bonheur. Cela ne sert à rien de les sermonner par des injonctions. Les jeunes n’ont pas vraiment conscience de ce qu’ils ont à perdre et, de toute façon, ils ne se voient pas d’avenir dans le pays. Il faut les accompagner pas à pas et les aider à prendre conscience qu’en un instant ils peuvent perturber toute leur vie, que ce soit à cause d’une IST ou d’une grossesse précoce. C’est notre rôle d’aînés de responsabiliser les jeunes pour qu’ils assument leurs choix. Ne démissionnons pas !