Je me suis mariée à l’âge de 16 ans et j’ai eu mon premier enfant à 17. C’était une situation normale pour moi parce que je suis issue d’une famille religieuse. Mes sœurs aussi avaient arrêté leurs études assez tôt. Mais malgré tout, je me suis sentie freinée dans mon parcours scolaire. J’aurais souhaité apprendre davantage. Aussi, après mon deuxième accouchement, j’ai donc décidé de reprendre mon cursus d’enseignement. Mes parents ont sincèrement appuyé cette décision et ils m’ont aidée à convaincre mon mari.

Les cours étaient dispensés à domicile pour que je puisse continuer à m’occuper de ma maison et de mes enfants. J’ai d’abord repris des études classiques en revoyant le programme du collège, puis celui du lycée. Ensuite, j’ai même continué au niveau supérieur à l’université islamique, en arabe et en théologie.

« Un espacement des naissances d’au moins deux ans est prescrit expressément par le Coran »

Mes travaux universitaires ont porté sur les difficultés que rencontrent les jeunes filles dans l’apprentissage de l’arabe au Niger. Les statistiques sont claires : depuis 1957, les medersas ont accueilli des garçons et des filles ; pourtant, il n’y a presque pas de filles ayant fait des études franco-arabes qui occupent aujourd’hui des postes à responsabilités. De fait, elles subissent rapidement des contraintes d’ordre familial qui entravent leurs éventuels projets de carrière. Par la suite, avec trois autres chercheurs du courant soufi, j’ai contribué à rédiger le Guide sur la santé sexuelle et reproductive des jeunes et adolescents et l’équité entre les genres dans les droits et devoirs en Islam. Avant parution, ce travail a été partagé lors d’une réunion avec plus de 80 oulémas issus de divers courants. Les débats ont été parfois houleux avec certains d’entre eux, notamment sur la polygamie ou sur la planification familiale.

Pourtant, il faut savoir qu’un espacement des naissances d’au moins deux ans est prescrit expressément par le Coran. La jurisprudence va même plus loin aujourd’hui, car deux ans sont insuffisants pour des femmes musulmanes qui travaillent, voyagent ou portent de lourdes responsabilités familiales dans un contexte économique difficile. En tant que femme et que leader religieux, j’estime que la planification familiale est nécessaire car sinon, les femmes et leurs foyers ne peuvent pas vivre dans des conditions dignes. C’est le message que j’ai fait passer dans des colloques, des séminaires mais également dans les réseaux d’oulémas auxquels j’ai participé. En quelque sorte, j’ai prolongé l’action de ma maman sur le terrain comme battante.

« La pauvreté et l’ignorance sont le frein du développement de la femme musulmane au Niger »

Il faut parler clairement de sexualité même si je ne m’en sens pas toujours capable, à la fois par éducation et par pudeur personnelle. Et puis c’est probablement une question de génération aussi. Si les conseils que je donne sont à demi-mots, d’autres que moi ont la hardiesse d’aborder frontalement les choses et cela répond à une grande demande de la part des jeunes. Ils sont curieux, ils veulent savoir. Ils se posent d’autant plus de questions que ce sont des sujets qui les concernent tous et toutes, dans leur vie intime.

En tous cas, quoi que disent certains religieux encore réticents, il n’y a pas d’incompatibilité entre un discours sur la sexualité et le langage religieux musulman : il faut seulement savoir trouver les mots et les bonnes personnes pour faire passer les messages dans le respect des textes et la diversité des situations. Ce qui compte, c’est de sensibiliser les personnes : seule l’instruction permet de réfléchir en sortant des stéréotypes ou de croyances plus archaïques que religieuses. C’est un fait : la pauvreté et l’ignorance sont les principaux freins au développement de la femme musulmane au Niger.