En tant qu’anthropologue, sensibilisé très jeune aux questions de la santé sexuelle et reproductive, je travaille depuis longtemps avec des organisations de la société civile sur ces questions. Intégrité corporelle, lutte contre l’excision, planification familiale : j’ai suivi ces combats jusqu’à l’adoption des principaux textes politiques actuels.

Je continue à travailler sur les changements de comportement, pour que le respect de son propre corps et du corps d’autrui soit développé dès l’école. Un simple exposé anatomique ne suffit pas : on doit donner aux enfants les clefs indispensables pour décoder leur environnement et prendre des décisions responsables. J’accompagne plusieurs groupes de jeunes pour les aider à agir – en particulier via les technologies de l’information et de la communication – et à renforcer leur rôle dans les mécanismes de décision.

« Les OSC doivent influencer ou refuser un projet s’il ne correspond pas aux besoins du terrain »

C’est très encourageant de voir leur engagement et leur dynamisme. En même temps, je suis un peu inquiet de la multiplicité des initiatives. Il arrive en effet que des OSC de jeunes se créent exprès pour répondre à un appel à projet financé par un bailleur ou bien qu’elles adaptent leur mission en ce sens. D’une part, il y a un risque qu’elles deviennent «  program driven » comme on dit en anglais, c’est-à-dire de simples prestataires de services. D’autre part, ce phénomène engendre une forme de concurrence entre les jeunes ; or s’ils ne veulent pas être instrumentalisés, c’est la coopération qui leur donnera plus de force dans la société et vis-à-vis des bailleurs.

Je ne dis pas qu’il faut cesser de répondre à des appels à projets : je crois juste que les organisations de jeunes devraient le faire en toute indépendance, non pas en tant que prestataire mais en tant que partenaire. Cela implique qu’elles aient leurs propres combats, leurs propres actions au lieu d’être désœuvrées quand un financement s’arrête. Elles doivent également être capables d’influencer ou de refuser un projet s’il ne correspond pas aux besoins du terrain ou bien si les méthodes spécifiées ne sont pas adaptées. C’est crucial de savoir défendre son point de vue et de résister à la mise en concurrence : sinon, au lieu d’apprendre à gérer leur ego et à jouer collectif, les jeunes leaders les plus doués finiront par se battre entre eux pour contrôler leurs structures sans partage. Finalement, ils se comporteront comme leurs aînés, selon le même vieux schéma de reproduction des élites.

« Un modèle de société moins hiérarchique commence par l’ouverture de l’espace familial »

J’anime des ateliers sur le leadership transformationnel : il s’agit d’apprendre à dépasser les luttes pour le leadership classique afin de réussir le changement social. Cette approche nécessite la mutualisation des compétences et la collaboration entre les personnalités. En bref, cela remet en cause la vision hégémonique et patriarcale du leader. Et la planification familiale contribue pleinement à cette recomposition générationnelle du leadership. Construire un modèle de société moins hiérarchique, plus participatif, plus créatif commence par l’ouverture de l’espace familial. En retour, le succès de la planification familiale conditionne les progrès de l’éducation et la capacité de jeunes à faire évoluer la société. A condition qu’ils fassent preuve de courage politique !

En tous cas, entre l’indépendance et 2002, ce courage a manqué à nos dirigeants pour abolir la loi coloniale du 31 juillet 1920 qui interdisait la contraception. Ils se sont cachés derrière les anathèmes religieux et les discours populistes. Aujourd’hui, le cadre juridique est là et des actions sont engagées même si elles s’avèrent insuffisantes. Quoi qu’il en soit, les objectifs et les moyens de ces interventions sont largement encadrés par les ONG et les bailleurs internationaux. Cela ne doit pas nous empêcher de dégager des moyens par nous-mêmes : parce que la planification familiale est stratégique pour le développement socio-économique du pays, l’État malien devrait en faire une priorité et garantir une grande partie de son financement sur fonds publics.