Je suis griot. En malinké, on dit djéli. En 2006, au décès de mon père, j’ai été sollicité par le réseau des communicateurs traditionnels pour prendre sa suite, parce qu’il en était le parrain. Ce réseau est un vrai baromètre de la société malienne. Les organisations de la société civile et les autorités de l’État nous consultent régulièrement et nous demandent d’intercéder auprès des populations pour faire passer leurs messages ou bien travailler en profondeur sur des sujets divers.

En fait, le réseau est un facilitateur auprès de la communauté car nous savons trouver les mots qu’il faut pour être entendus sans heurter la sensibilité des gens. Par notre connaissance de la culture, des croyances, des rites, des formules traditionnelles en langue, nous jouissons d’une autorité et d’une légitimité complémentaires à celles des politiques ou des experts. Nous disposons aussi d’une certaine influence auprès des nobles, les djatigui : ces derniers peuvent relayer nos idées parce qu’ils nous font confiance et qu’on a obtenu leur estime.

« Les hommes constituent un goulot d’étranglement en matière de planification familiale »

Le griot peut être un véritable médiateur pour la planification familiale. Longtemps, celle-ci a été présentée comme un mode de contrôle des naissances. Cela a vite été traduit comme un appel à ne pas faire d’enfants, ce qui est contraire aux représentations populaires. En effet, pour la plupart des maliens, le mariage sert justement à faire des enfants, pour se perpétuer et pour assurer l’avenir. En plus, certains accusent la planification familiale d’aller contre la volonté de Dieu, d’autres reprochent aux occidentaux de vouloir dicter leurs « volontés démographiques » aux africains. Auprès des communautés, les griots tentent de restaurer la confiance, de faciliter le dialogue, de clarifier les malentendus et enfin d’orienter vers les professionnels de santé. C’est à nous de dire que la planification familiale ne prétend pas limiter les enfants, mais espacer les naissances. Pour cela nous mettons en avant les méthodes traditionnelles, comme l’allaitement exclusif qui a fait ses preuves.

Par ailleurs, nous avons remarqué que beaucoup de femmes qui consultent dans les centres de santé n’en informent pas les maris, pour éviter les histoires. Cela nous fait dire que les hommes constituent un goulot d’étranglement en matière de planification familiale. Comment faire pour que les maris puissent comprendre ? Il faut d’abord mobiliser les leaders spirituels pour dire que ce n’est pas condamné par la religion. Il faut aussi montrer les conséquences des naissances rapprochées : mortalité materno-infantile, maladies pas ou mal soignées, baisse de revenus qui sont déjà faibles, difficulté à payer l’éducation des enfants, etc. Tout cela, c’est de la peine, des contraintes et des coûts qui pourraient être évités.

« Les méthodes doivent être plus participatives, en particulier avec les adolescents »

Très sincèrement, je crois que l’approche utilisée sur la planification familiale doit changer. Il ne faut pas se satisfaire des messages venus d’en haut. Il faut aller vers les populations, les écouter et leur parler en langue. Les méthodes doivent être plus participatives, surtout avec les adolescents. Avec les adultes, les enfants se taisent ; mais ils se posent énormément de questions. Si nous ne leur donnons pas de réponses, ils vont les chercher par des moyens hasardeux.

C’est pour cela que le réseau des communicateurs traditionnels organise des rencontres dans des amphis. Après un exposé, on interroge les jeunes, ils nous posent à leur tour des questions. Certains veulent nous voir en privé pour évoquer leurs difficultés et leurs tourments. Ce n’est pas le silence qui résoudra les problèmes, car il n’empêche pas les jeunes de s’ouvrir à la sexualité. Les griots ont un rôle à jouer pour que les adolescents ne fassent pas les frais de l’inaction des adultes. Entre deux maux, il faut choisir le moindre : mieux vaut protéger les adolescents que les tabous.