Nous sommes passés d’une société coutumière à une société de la migration, de la mondialisation et des technologies. Or la transition n’a pas été pensée. La symbiose n’a pas été réfléchie. Nous sommes donc confrontés à des tensions entre des habitudes ancestrales et des pratiques à la mode. Pourtant, il est vain d’opposer la tradition à la déperdition pour les uns ou le conservatisme à la modernité pour les autres. Ce qu’il nous faut, c’est chercher un chemin qui réconcilie.

Des pratiques héritées du passé, il s’agit de retrouver le sens plutôt que de répéter le geste. Des comportements d’aujourd’hui, il est urgent de comprendre les valeurs en jeu plutôt que de succomber à des engouements souvent conditionnés. C’est ce décryptage, et la parole qu’il implique, qui permettront de trouver une voie de continuité entre le passé et le présent.

«L’éducation sexuelle est d’abord d’ordre culturel, social et affectif »

Ce qui caractérise une tradition, ce sont les messages qu’elle porte plus que la forme qu’elle prend. Étymologiquement, si on se réfère au latin « tradere », il s’agit de « donner à travers », autrement dit de transmettre. Qu’est-ce qui est donné ? Ce sont avant tout des valeurs et du sens. Les pratiques traditionnelles sont les vecteurs d’une éducation de la vie en collectivité. On enseigne aux jeunes qu’ils ne sont pas tout puissants, qu’ils ont des limites, que les autres ne sont pas leur propriété et qu’ils ne peuvent pas agir avec eux à leur guise. Dès l’enfance, à travers les rites et les interdits, on apprend comment se comporter avec le père, la mère, les aînés, la fratrie, la communauté, etc.

Dans ce cadre, l’éducation sexuelle est d’abord d’ordre culturel, social et affectif : elle porte sur la relation à l’Autre, et tout particulièrement à l’autre genre. La sexualité n’est pas un champ isolé : elle s’inscrit dans un tissus des relations sociales. Et l’acte sexuel lui-même n’est que l’un des aspects de la sexualité. Ainsi l’enseignement de l’Église catholique prépare-t-il l’homme et la femme à cheminer l’un vers l’autre en prenant conscience de leur valeur respective, du respect de ce que chacun d’eux a d’essentiel. L’Église les accompagne pour qu’ils soient libres et responsables dans leurs engagements l’un envers l’autre. Pour que l’homme et la femme s’approprient le sacrement du mariage en chérissant la parole donnée comme un bien précieux.

« Il faut oser dire je sans se cacher derrière le On a toujours fait comme ça” ni le C’est comme ça aujourd’hui »

Un sujet comme la sexualité n’est donc pas tabou, il est sacré. On peut en parler mais avec délicatesse. De façon graduelle et circonstancielle pourrais-je dire. En Afrique de l’Ouest, on ne parle pas de tout, n’importe où et à n’importe qui. Cela ne veut pas dire qu’on ne parle pas. Il y a un espace-temps pour cela. Une expression en langue dit « assied-toi et écoute ! » ; mais elle peut aussi se traduire par « assied-toi pour écouter ». Autrement dit, pour transmettre, il faut trouver le bon moment et prendre le temps. Et oser. C’est là tout l’enjeu : oser percer l’abcès, oser dire « je » sans se cacher derrière le « On a toujours fait comme ça », ni le « C’est comme ça aujourd’hui ».

Les aînés ne peuvent plus demander l’autorité et le respect aveugles de la part de jeunes qui ont désormais un accès plus facile à l’information. Garder le silence ne protège pas notre culture ; au contraire cela crée une sorte d’enfermement et d’étouffement que la force vitale des jeunes refuse. Quant aux jeunes, ils ne peuvent pas se déraciner en se jetant à corps perdu dans une nouveauté sans profondeur. Chacun de nous est issu d’un passé et d’une culture qui nous a façonné. Se construire harmonieusement passe par la reconnaissance des valeurs qui ont fondé notre identité. Mais identité ne veut pas dire identique. Culture ou tradition ne veulent pas dire folklore. C’est l’esprit qui compte, pas la lettre. On peut s’appuyer sur le sens de l’éducation reçue, sur ses valeurs et les vivre autrement, de façon plus adaptée à la façon dont l’environnement a changé, dont on a soi-même évolué. La véritable liberté est dans le questionnement des traditions comme de la modernité : cela demande un véritable effort de réflexion et de partage par la parole pour éclairer ses choix.