J’ai débuté ma carrière de journaliste dans une radio où l’on m’a confié un reportage sur la planification familiale. Puis j’ai suivi une formation sur la santé avec une journaliste spécialisée de RFI. C’est à partir de là que j’ai décidé de m’orienter vers les questions de santé. En 2010-2011, j’ai eu l’occasion de travailler avec Population Reference Bureau, une ONG américaine : j’ai ainsi produit un certain nombre de sujets sur la planification en Ouganda, au Mali et au Sénégal.
C’est difficile de faire parler de santé sexuelle. Je me souviens de mon premier grand dossier spécial : c’était un reportage sur les grossesses précoces. Je m’étais concentré sur le lycée Philippe Zinda Kaboré qui est l’un des plus grands de Ouagadougou. J’ai eu beaucoup de mal à interviewer des jeunes filles qui avait été enceintées. J’ai pu en repérer qui avaient vécu ce drame, mais aucune ne voulait s’exprimer directement à mon micro. J’ai donc dû interroger les proches. C’est là qu’on mesure le poids du tabou, la honte, la peur d’être jugée et rejetée.
« C’est important de lever le voile sur ces questions : on peut en parler sans choquer »
Lors d’un autre reportage, sur la communication parents-enfants, j’ai retrouvé cette indicibilité : pour beaucoup, cela reste dérangeant d’aborder les questions de sexualité en famille, voire même dégoûtant. En général, les parents ont l’impression de ne plus être écoutés par les jeunes et ces derniers ne se sentent ni compris, ni accompagnés dans la vie. Le dialogue n’est souvent pas bien meilleur dans le couple : dans un reportage sur la planification familiale vue par les hommes, les témoignages montraient une grande disparité sur son acceptation et sur la capacité d’en parler avec les épouses. Autre problème : la fiabilité de l’information. Lors d’une enquête sur la pilule du lendemain en milieu estudiantin, par exemple, certaines jeunes femmes prétendaient qu’on pouvait prendre le traitement une semaine après !
On voit donc combien c’est important de lever le voile sur ces questions. On peut en parler sans choquer, en préservant la pudeur, en faisant réfléchir et en suscitant l’émotion. C’est ce que nous avons essayé de faire sur RMO avec le magazine « Santé capitale » qui était diffusé tous les samedi de 8H à 9H, puis rediffusé le dimanche à 20H. Des créneaux de bonne audience donc. Il y avait un invité, un micro-trottoir sur le sujet traité, un reportage et, lorsque nous étions en direct, nous prenions des appels d’auditeurs pour engager le dialogue.
« Parler de sexualité dans les médias fait avancer l’esprit des gens au-delà des idées préconçues »
Les journalistes ont un vrai rôle à jouer pour que les mentalités avancent et que le regard change. Pour que celles qui sont victimes ne soient plus sur le banc des accusées. C’est ce à quoi nous sommes un peu parvenus avec une émission de 25 mn sur les serveuses de bar. Il s’agissait de rencontrer des femmes ou des filles qui travaillent dans les maquis, pour comprendre ce qu’elles vivent : le regard porté sur elles par les hommes, l’exposition au multi-partenariat, les difficultés liée au port du préservatif lors des rapports, etc. Nous sommes arrivés à faire parler ces femmes très exposées. C’était nouveau de faire du documentaire radio. Et encore plus sur ce sujet dont on ne parle pas alors que le maquis est dans la vie de tous les ouagalais.
Les clients pensent que ce sont des filles faciles, mais grâce à l’émission, ils ont découvert la réalité de ce qu’elles vivent. Nous avons laissé la parole aux femmes interrogées pour qu’elles racontent leur histoire, en prenant le temps des détails. De par l’ambiance ainsi créée, l’auditeur entre dans leur vie : il apprend à les connaître et peut dépasser le cliché de la fille qui est là à la disposition des clients. Si certains auditeurs ont été choqués par ce qu’ils entendaient, d’autres appelaient pour savoir comment aider les femmes qui avaient témoigné. Même si cela perturbe, parler de sexualité dans les médias fait avancer l’esprit des gens. À condition de montrer les faits sans idées préconçues, de ne pas déformer la réalité, de ne pas juger mais d’essayer de comprendre.