Avant, j’étais informaticienne. Mais un jour, j’ai tout arrêté pour passer le concours d’entrée à l’école d’assistante sociale. J’ai terminé en 2009 mais, à cause de la crise politique, les concours de sortie ont été suspendus. À leur reprise, en 2014, je suis arrivée 3e au plan national. Mon rêve se réalisait enfin. J’avais toujours espéré faire ce métier. Au collège, la maman d’une de mes camarades était assistante sociale et j’étais admirative de la façon dont elle aidait les autres. Plus tard, j’ai pu observer comment ce travail d’accompagnement avait soulagé une grande sœur qui était infectée par le VIH/sida.
Depuis plusieurs années, je travaille pour une ONG ivoirienne auprès de personnes atteintes par le VIH/sida ou victimes de violences basées sur le genre. Je suis en charge de leur suivi psycho-social. Nous avons un entretien individuel après le dépistage. C’est moi qui leur annonce les résultats parce que les médecins n’ont pas toujours le temps ni les mots pour cette étape difficile, surtout quand le résultat du test est positif. Ensuite, on se revoit pour un suivi régulier, au fur et à mesure des bilans et des résultats du traitement mis en place par le médecin référent.
« S’il sait que je suis infectée, il va me rejeter et tout sera fini »
Quand une personne est séropositive, c’est très important de pouvoir parler de sexualité. Pour éviter la contamination d’autres personnes, mais aussi pour aborder des questions comme la possibilité et les risques d’avoir des enfants. Voilà pourquoi je me suis formée sur la santé sexuelle et reproductive. Cela me permet d’aborder ces sujets délicats sans honte, avec le plus de naturel possible, en pensant toujours que l’information va ouvrir des portes à la personne que j’accompagne. Et puis je travaille en lien étroit avec les sages-femmes qui prendront le relais.
Un jour, je reçois une jeune femme d’environ 25 ans qui venait d’être dépistée positive au VIH/sida. Assise devant moi, Fatou se met à pleurer en répétant « Je suis foutue ». Je lui demande pourquoi elle dit cela et elle me répond : « Je vais rester comme ça, sans faire d’enfant. On ne m’appellera jamais maman ». Alors je la rassure. Je lui explique qu’aujourd’hui le sida n’est pas la fin du monde, qu’elle peut bénéficier d’un traitement et que, le moment venu, si elle le souhaite, elle pourra avoir un enfant. Le bébé pourra même être séronégatif si tout va bien. Et s’il ne l’est pas, lui aussi pourra être traité correctement. Quelques années plus tard, lors d’un entretien de suivi, Fatou me confie qu’elle a rencontré un homme qui lui plaît et qui l’a courtisée. Elle me raconte qu’il est prêt à tout pour elle, mais qu’elle préfère refuser ses avances. « S’il sait que je suis infectée, il va me rejeter et tout sera fini ». Pour l’accompagner dans ce moment difficile, je lui propose de les recevoir tous les deux le jour où elle sera prête pour lui annoncer son statut sérologique. Elle le lui dira et je prendrai la suite.
« Tu dois m’aimer beaucoup pour avoir refusé tout rapport pendant deux ans »
Plusieurs mois après, les voici tous les deux dans mon bureau. Le monsieur a la quarantaine. Il est déjà marié, mais il voudrait prendre Fatou comme deuxième épouse. Il est un peu mal à l’aise d’être là. Fatou chuchote qu’elle a quelque chose à lui dire et qu’elle voulait parler devant moi parce que j’étais une maman pour elle. « Depuis deux ans qu’on se fréquente, je n’ai rien voulu faire parce que j’ai le virus du sida » dit-elle la voix pleine d’émotion. Le monsieur recule dans son siège et n’arrête pas de dire « Quoi ? Quoi ? Quoi ? ». Alors je prends la parole et je lui explique lentement ce qu’est cette maladie, comment elle se soigne même si on ne guérit pas. Je décris comment se protéger pendant les relations sexuelles et aussi, comment avoir un enfant lorsque la charge virale est devenue indétectable.
J’ai vu qu’il découvrait beaucoup de choses au fil de mes explications. Plus j’avançais, plus l’émotion montait. Puis il se met à pleurer et se tourne vers Fatou en disant : « Tu dois m’aimer beaucoup pour avoir refusé tout rapport pendant deux ans. Maintenant que je sais, maintenant que j’ai appris qu’on peut se protéger et avoir quand même un enfant, je jure de t’épouser, Fatou. » Aujourd’hui Fatou a 34 ans. Elle a épousé ce monsieur avec qui elle a eu un enfant. Tous les deux sont séronégatifs. Il y a quelques jours, elle est venue raconter son histoire devant un groupe de parole que j’avais organisé. Tout le monde avait les larmes aux yeux.