Je viens de la région du Gontugo, au Nord-Est de la Côte d’Ivoire. Pour mon père agriculteur, j’étais l’aîné et donc l’espoir de la famille. C’est pour cela qu’il a été très ferme à mon adolescence : il m’a expliqué que si j’enceintais une fille, ce serait la fin de mes études, que je n’aurais plus d’avenir et que je le décevrais. Comme j’aimais apprendre et qu’on ne désobéit pas au papa, je l’ai écouté. Je suis resté sagement à la maison et ne voyais presque personne.
Je ne regrette pas cet isolement. Cela m’a permis de réussir mes études et de pouvoir aller à l’université par la suite. Mais quand j’y repense aujourd’hui, je crois que les choses auraient pu être gérées autrement. Finalement, la sexualité était associée à une menace ; alors que si j’avais été bien informé sur ces choses-là, j’aurais pu agir par sens des responsabilités et non par peur. Savoir permet d’agir avec raison et de se construire plus solidement.
« Il y a du chemin à parcourir entre les beaux discours et la réalité quotidienne »
En 2007, quand je suis venu étudier à Abidjan, j’étais à la fois heureux de cette nouvelle vie qui commençait et inquiet devant l’inconnu. Rapidement, j’ai dû me prendre en charge pour financer mes études : le gamin sortait du cocon pour devenir un jeune adulte. Je m’ouvrais aussi progressivement aux autres. Dès l’enfance, surtout grâce à ma mère, j’ai connu le souci d’aider. Là, je sentais que j’étais prêt. En 2009, j’ai rejoint une structure qui travaillait sur le leadership des jeunes pour éveiller leur talent dans la santé, l’éducation, l’art, etc. J’ai alors rencontré des bénévoles qui œuvraient dans une ONG de lutte contre le VIH-sida. C’est finalement auprès d’eux que je me suis engagé durablement.
Je me suis d’abord formé, puis j’ai été coopté sur un projet pour intervenir auprès des étudiants de la cité universitaire. Agir en groupe ne me faisait pas peur, mais aller seul au devant des autres… Je devais initier les causeries de groupe, inviter les jeunes, animer les rencontres. Cela m’a plu et, de fil en aiguille, je suis passé de pair-éducateur à un poste d’assistant suivi-évaluation, puis de chargé de programme. En 2011, mon niveau d’anglais n’étant pas mauvais, j’ai été choisi comme l’un des deux représentants des jeunes ivoiriens à la 16e conférence internationale sur le sida en Afrique, à Addis-Abeba. J’ai aussi participé à la 3e conférence internationale sur la santé maternelle à Kuala Lumpur. Ces expériences m’ont permis d’échanger avec des jeunes venus d’ailleurs, de rêver un monde meilleur. Mais il ne faut pas se prendre pour une star : de toute façon, au retour, on retrouve les réalités du pays et on voit le chemin qu’il faut parcourir entre les beaux discours et la réalité quotidienne. Cela aide à rester humble et à travailler sans relâche.
« On peut faire changer les choses, au moins à son niveau »
Concrètement, la Côte d’Ivoire a adopté un plan d’action budgétisé sur la planification familiale pour la période 2016-2020. Ce plan marque un tournant pour plusieurs raisons. D’abord, sa conception a mobilisé plusieurs expertises dont celles de la société civile. Deuxième raison de se réjouir : le pays est désormais doté d’une politique publique dédiée à la planification familiale. Les objectifs sont ambitieux puisqu’il s’agit de faire progresser le taux de prévalence contraceptive de 13% à 36%. Enfin ce texte tient compte des préoccupations des jeunes qui représentent 77% de la population.
Est-ce que cela va changer les choses sur le terrain ? C’est tôt pour le dire. Il faut que la société civile soit vigilante dans la mise en œuvre de ce plan. Et, selon moi, il faut aussi travailler sur le leadership des jeunes. Quelle place ont- les jeunes dans la réussite de ce plan ? C’est un défi. L’histoire du pays a mis en avant des jeunes leaders engagés dans des partis politiques. Mais combien de jeunes s’impliquent-ils activement sur des sujets de société comme la santé sexuelle et reproductive ou la planification familiale. Il faut pouvoir les informer, les former, les mobiliser et leur faire prendre conscience qu’ils peuvent changer les choses, au moins à leur niveau. Il en va de leur avenir personnel, mais aussi de tout le pays et des générations futures.