Il y a plusieurs années déjà, une jeune fille que je connaissais a vécu une histoire terrible : elle a été droguée puis violée par un homme qui l’a mise enceinte. La famille était plutôt conservatrice, avec un père imam. Alors la mère a tout fait pour cacher la grossesse de sa fille. Mais toutes deux ont commencé a souffrir de problèmes psychiques : à cause du traumatisme créé par le viol et la grossesse non-désirée pour l’une, par peur du qu’en-dira-t-on pour l’autre. À la naissance, la jeune maman a rejeté son enfant car elle ne voyait en lui que le drame et la honte.
En tant que femme et médecin nutritionniste, j’ai pu la convaincre de prendre moi-même l’enfant en charge pour mieux les protéger. Finalement, lorsque le père de famille a appris la vérité, sa réaction a démontré une grande ouverture d’esprit, largement sous-estimée par sa femme et sa fille. Il a reconnu que c’était un choc, bien sûr, mais que cela arrivait souvent dans les familles du quartier et qu’il fallait accueillir l’enfant. Une fois celui-ci revenu, les deux femmes s’en sont occupé et ont pu s’en sortir.
« C’est souvent la pauvreté qui conduit certaines filles à prendre des risques »
Comme l’a montré ce monsieur, il faut relativiser ces situations. Rien ne sert de s’enfermer dans le silence et l’opprobre : il n’y a pas à perdre la face devant les accidents de la vie. Au contraire, il s’agit d’affronter la réalité. Quand ce n’est pas l’ignorance, c’est souvent la pauvreté qui conduit certaines filles à prendre des risques. Elles échangent une faveur sexuelle contre un peu d’argent ou bien des habits, un restaurant, une sortie en boîte. Dans bien des cas, elles ramènent un pécule à la maison et les parents le prennent sans poser de questions jusqu’au jour où… C’est pour cela que les discours sur l’abstinence sont insuffisants voire illusoires. Les autorités de santé promeuvent donc une sexualité responsable en essayant de prévenir les infections sexuellement transmissibles et les grossesses non- désirées. Il y a du progrès : la prévalence contraceptive est passée de 12% à 20% en dix ans. Mais les efforts conjugués de la société civile et des acteurs de santé restent assez loin des 45% souhaités.
Lors du Sommet de Londres sur la planification familiale, en 2012, le ministère de la santé avait promis d’augmenter de 200% le budget pour l’achat et la distribution gratuite de préservatifs. Nous sommes d’abord passés de 100 à 200 millions de francs CFA et la dotation sera bien de 300 millions en 2016. La récente modification constitutionnelle permet désormais aux parlementaires d’auditer pour évaluer la réalité de l’emploi des fonds alloués. Étant point focal des questions de SSR à la Commission santé de l’Assemblée nationale, je ne manquerai pas de questionner le gouvernement pour vérifier le respect des engagements pris. Je ferai de même pour le plan d’action national pour la planification familiale.
« La société doit s’asseoir et réfléchir à changer les choses, à commencer par l’éducation des filles »
Agir, c’est aussi mouiller le maillot, aller sur le terrain, impliquer les gens et pas seulement prêcher la bonne parole. De plus il faut être pragmatique : l’approche par les droits est souvent une impasse car les rigoristes religieux opposent la parole profane à la parole sacrée et ils placent la loi de Dieu au-dessus de celle des hommes. Ce qu’il faut, c’est émouvoir et démontrer. Émouvoir en racontant des histoires, en rapportant ce qui se passe vraiment, en mettant des mots sur ce que vivent les filles et les femmes de ce pays. Et démontrer, c’est faire preuve de pédagogie dans notre plaidoyer, en partant des faits de façon scientifique, statistique.
Par exemple, des études ont prouvé que 50% des décès chez les adolescentes sont dus à des grossesses précoces. Devant ce constat, on peut agir et faire reculer l’âge de la première grossesse. La société doit s’asseoir et réfléchir à changer les choses, à commencer par l’éducation des filles. Mes collègues masculins n’aiment pas parler de ces sujets car pour eux tout cela est culturel. Pour moi, c’est de la santé publique. Il s’agit de sauver des vies, d’offrir un suivi médical mais aussi psycho-social à celles qui sont dans la détresse. Il s’agit de préserver notre jeunesse.