Je suis journaliste, et comme tout bon journaliste, je raconte ce que je vois. Je rapporte des faits. Alors pour parler de mon engagement en faveur des femmes et de la planification familiale, je vais raconter plusieurs scènes qui m’ont marqué.
Un des mes premiers souvenirs remonte à mon enfance. C’était à l’époque où mon père était instituteur dans la région de Maradi. Je me souviens avoir été frappé par le labeur des femmes pendant la saison de pluies. Elles travaillaient trois fois plus que les hommes. Levées avant tout le monde, elles faisaient le ménage, elles préparaient le repas puis le portaient aux hommes dans les champs où elles travaillaient tout l’après-midi. De retour à la maison, il y avait encore le ramassage du bois à faire, la corvée d’eau aux puits du village, puis le dîner pendant que les hommes se reposaient. Ce labeur me laissait admiratif et, en même temps, je trouvais que ce fardeau mal réparti était terriblement injuste.
« Balki avait 12 ou 13 ans seulement. Elle a disparu de l’école parce qu’elle était déjà enceinte ! »
Un autre souvenir me revient. C’était à Gouradje, au nord de Tessaoua et Tanout, pendant les vacances scolaires. J’ai appris qu’une de mes camarades de classe s’était mariée. Elle s’appelait Balki. Elle devait avoir douze ou treize ans seulement. Peu après la rentrée, elle a disparu de l’école parce qu’elle était déjà enceinte ! Un matin, en fin de printemps, je la croise en train de puiser de l’eau. On se salue. Et quelques jours plus tard, tandis que j’étais sur les bancs à étudier, on a entendu les pleurs des femmes qui annonçaient un décès. C’était elle. Elle est morte pendant l’accouchement. Et j’ai encore au fond de moi son regard, près du puits, déjà femme malgré elle, avant d’avoir eu le temps d’être une jeune fille. Comme Maimouna, ce personnage du livre d’Abdoulaye Sadji, qui parle d’une jeune sénégalaise rejetée par tous à cause de sa grossesse précoce.
Autre histoire pour vous dire jusqu’où va parfois le malheur de certaines femmes de ce pays. Dans la maison familiale, il y avait une femme qui nous amenait de l’eau. Elle était mariée à un sorcier bien plus âgé que mon vieux. Pourtant elle-même avait à peine vingt ans. Elle était belle, propre et vêtue correctement. Mais quand elle s’approchait de moi, j’étais écœuré parce qu’elle sentait très fort l’urine. Je disais à ma maman que je ne voulais plus qu’elle amène de l’eau à la maison à cause de son odeur. Ma mère me rétorquait que je n’avais pas un bon odorat et puis c’est tout. Ce n’est que plus tard, une fois adulte, que j’ai compris l’histoire de cette jeune femme « qui ne garde pas l’urine » comme on disait dans le village. J’ai réalisé que c’était une fistuleuse, victime de mutilations sexuelles.
« Je me suis servi de mon stylo et du micro pour montrer l’injustice »
Alors oui, quand je suis devenu journaliste, ce n’est probablement pas un hasard si je me suis vite spécialisé en santé. Il y a sûrement ces souvenirs qui ont joué. Il y a aussi l’influence de ma tante, « Baba Dije », chez qui j’ai vécu à partir du collège. Elle était matrone et parfois je la suivais à la maternité dans laquelle elle officiait. Cette femme sans enfants, aimée du quartier, qui aidait les autres femmes à mettre au monde. Elle m’a inspiré ce goût pour le terrain afin de recueillir les témoignages des tous ces acteurs qui tentent de faire bouger les choses.
Car même si les textes juridiques sont là pour faciliter la planification familiale, ils ne sont guère appliqués : le changement de mentalités n’est pas au rendez-vous. C’est pourquoi le travail de proximité est essentiel et les journalistes doivent contribuer à le faire sortir de l’ombre, notamment à travers les radios communautaires. Je me suis formé et j’ai pu faire des articles, des reportages, des interviews et des émissions. Je n’ai pas fait d’études de médecine comme je l’avais d’abord envisagé, pour soigner les gens et marcher dans les pas de Baba Dijé. Mais je me suis servi de mon stylo et du micro pour montrer l’injustice et faire connaître celles et ceux qui se battent pour que les femmes aient un avenir meilleur. D’une certaine façon, je suis bien « Dan Baba » (le fils de Baba).