Les interventions sur la planification familiale ciblent surtout les femmes et les jeunes filles. C’est évidemment nécessaire, car très peu connaissent leurs droits. Hélas, quinze ans après sa promulgation,  la loi Lahaou Touré sur la santé de la reproduction est encore mal connue. Aussi, en parallèle, il est peut-être temps d’impliquer davantage les hommes. Car même si les femmes ont le droit de choisir librement d’entamer une démarche contraceptive, ce sont souvent les maris qui décident, malheureusement. Or ces derniers restent souvent hostiles à la planification familiale.

Ils invoquent régulièrement la tradition comme alibi à leur refus ; mais plus que des raisons culturelles, ce qui freine, c’est la méconnaissance de ce qu’est réellement la planification familiale et de ses enjeux pour la vie du foyer. Cela commence déjà par le langage que l’on utilise. Beaucoup d’hommes ne font pas la différence entre planification familiale et sexualité : ils croient donc que l’on veut leur faire cesser toute activité sexuelle, ce qui est proprement inconcevable. Nous devons avant tout clarifier les termes et faciliter l’expression des réticences pour dépasser les idées fausses.

« Bien sûr on sait que les jeunes pratiquent le sexe, mais on n’en parle pas »

Le tabou autour des choses du sexe est plus destructeur que la parole. En famille, dans le couple, avec les enfants, il n’y a que des interdits et pas de discussion. Je me rappelle la première fois où j’ai abordé la question de la sexualité avec une tante : j’ai reçu une gifle. Les gens ne sont pas à l’aise et font la politique de l’autruche. Bien sûr on sait que les jeunes ont une sexualité, mais on n’en parle pas. À l’inverse, mon épouse et moi sommes fiers de pouvoir en parler avec nos filles ou avec des petites sœurs. En tant que médecin, acteur de la planification familiale, c’est mieux de donner l’exemple !

J’ai commencé mon activité à l’Institut national de prévoyance sociale à Sévaré, dans la région de Mopti. L’INPS fait partie des structures pionnières en santé : il y avait des postes dans les coins les plus reculés du Mali, avant même que l’État ne soit présent. De 2003 à 2010, j’ai rejoint l’équipe régionale de Mopti. Parce qu’on arrive jamais seul à faire avancer les choses,  j’ai mené des activités de plaidoyer en faveur de la planification familiale auprès des leaders d’opinion, notamment les religieux. J’ai également créé une unité spécialisée et renforcé la capacité des sages-femmes sur la contraception. Plus tard, lorsque je suis arrivé à Kayes, j’ai fait la même chose. À chaque fois, j’ai bénéficié du soutien de ma direction.

« Il y a un véritable problème d’accès aux contraceptifs »

Pourtant, la planification familiale n’est pas souvent une priorité des structures de santé alors que les conséquences sont fortes en terme de mortalité et de morbidité, avec un impact social et économique évident. La volonté politique est peut-être là, mais l’action sur le terrain est encore trop timide. Et il y a un véritable problème d’accès aux contraceptifs.

Du côté des structures de santé d’abord : les méthodes de longue durée (injections et implants) ne sont pas systématiquement disponibles dans les centres. De plus, le personnel n’est pas toujours formé sur l’offre de produits afin de conseiller l’utilisation la plus avisée. Le problème d’accessibilité vient aussi du prix : la pilule contraceptive coûte 100 francs CFA chaque mois et cela peut atteindre 500 francs dans des localités où l’approvisionnement est moins facile. Vu de Bamako ou de Sikasso, ce n’est pas un problème, mais ce coût peut être rédhibitoire dans certaines zones rurales à très faibles revenus. C’est encore plus vrai pour des injections trimestrielles qui coûtent entre 500 et 600 francs CFA en moyenne. Par ailleurs les femmes ont tendance à préférer les méthodes de longue durée : si elles sont contraintes de se rabattre sur la pilule, le risque d’abandonner la contraception est plus grand. Prendre en compte la pluralité de ces problèmes d’accessibilité est indispensable pour obtenir de meilleurs résultats en termes de planification familiale.