Durant mes études en sociologie, je me suis penchée sur les enjeux de développement. J’ai effectué un travail de terrain sur la santé avec des organisations de la société civile : santé materno-infantile, allaitement, santé sexuelle et reproductive, planification familiale, etc. C’était à la fois stimulant au plan intellectuel et émouvant à cause des situations de détresse que j’ai pu voir. Certains disent que c’est la faute du destin, de la fatalité. Mais la fatalité a des limites : il y a aussi la responsabilité et ce que l’on veut faire de nos vies.

Être journaliste a justement pour but de faire savoir et d’aider à comprendre ce qui se passe. Moi, c’est sur le terrain que je conçois mon métier : pour être au plus près des faits, recueillir les témoignages, recouper l’information. Les premières minutes sont parfois difficiles parce que les gens n’ont pas l’habitude de parler. Ils sont réticents à aborder certains thèmes. Alors je leur dis combien c’est important de témoigner : parce que cela permet de connaître les réalités et de changer les choses. Petit à petit, quand la confiance s’installe, ils livrent leur vécu. Quelquefois c’est presque une délivrance et ils laissent couler leurs larmes.

« Ce que je constate lors de mes reportages, ce sont les ravages de l’ignorance »

Une des enquêtes qui m’a le plus marquée était située à Kolda, en Haute-Casamance. Une caravane de journalistes avait été organisée par deux ONG afin que nous puissions voir de nos propres yeux le problème des grossesses précoces dans la région. Et les cas n’ont pas manqué : ici, des jeunes filles rejetées par leurs familles parce qu’elles étaient enceintes ; là, des adolescentes devant s’enfuir de chez elles parce qu’on voulait les marier de force. Dans les établissements scolaires, des élèves m’ont parlé de camarades qui ont dû abandonner l’école à cause d’une grossesse précoce. Une infirmière nous a même raconté qu’elle avait reçu en consultation une fillette de 9 ans déjà enceinte !

Ce que je constate à peu près partout lors de mes reportages, ce sont les ravages de l’ignorance. Je me souviens d’une autre histoire, à Richard-Toll, dans le nord du pays. Elle montre bien comment les choses peuvent évoluer si on fait l’effort d’informer et d’éduquer les gens. Je visitais le centre de santé. Le gynécologue que je venais interviewer sortait tout juste d’une césarienne difficile. Il avait réussi à sauver in extremis la jeune mère et l’enfant. Dehors, le mari était là. Il s’appelait Abdoul. Le médecin a pris le temps de lui expliquer ce qui s’était passé et comment cette grossesse précoce aurait pu être fatale. Abdoul s’est décomposé. Il a dit qu’il tenait plus que tout à la vie de son épouse et qu’il ne voulait plus la mettre en danger. Il souhaitait que sa femme se repose pendant quelques années avant d’envisager un autre enfant. Alors le médecin lui a posément parlé de planification familiale.

« Il faudrait un peu de courage politique »

Les gens ne sont pas idiots face aux questions de vie et de mort. Si on explique, beaucoup adhèrent. C’est d’ailleurs pour cela que nos suppléments Santé ont du succès. Les campagnes nationales d’informations sont utiles, mais en parallèle il faut susciter la curiosité et donner l’envie de se renseigner. Les journalistes sont des relais. Il faudrait aussi un peu de courage politique pour que les responsables jouent aussi ce rôle.  

En 2011, l’ancien président de la République avait pris publiquement position en faveur de la planification familiale : cela avait soulevé un tollé qui a renforcé la frilosité des politiciens. De peur d’être impopulaires, ils se taisent : ils ne parlent pas d’espacer les naissances afin de préserver la santé des femmes et de leurs enfants ; pas plus qu’ils n’osent dire que le nombre d’enfants d’une famille doit être adapté aux ressources dont dispose le foyer. On vante les bienfaits futurs de l’émergence économique, mais comment croire qu’elle peut advenir sans traiter les questions vitales du développement : l’éducation, la réduction de la pauvreté, l’accès à la santé et donc la planification familiale.