De mon point de vue, la nécessité d’une loi sur la santé de la reproduction ne devait pas relever de l’idéologie mais de la logique. A l’époque, le taux de fécondité était supérieur au taux de croissance économique. En 1991, le gouvernement avait donc adopté une Déclaration de politique de population visant à ajuster situation démographique et développement socio-économique. L’un des enjeux était de maîtriser la fécondité en travaillant sur la planification familiale et la contraception. Légiférer sur la santé de la reproduction était donc la conséquence logique de nos choix de développement.

Par ailleurs, la loi coloniale du 31 juillet 1920, toujours en vigueur, réprimait la propagande anticonceptionnelle, interdisant de facto de promouvoir les contraceptifs et tout autre dispositif visant à prévenir les grossesses. Cette loi du passé était ainsi contraire à la fois à des textes du droit national et à des engagements internationaux pris par le Mali. Pour être juridiquement cohérents, une loi sur la santé de la reproduction devait donc abroger celle de juillet 1920.

« Pour dépasser les critiques, nous avons pris le temps d’informer, d’écouter, de débattre »

Entre 1992 et 2002, j’ai exercé deux mandats de député de la commune 2 de Bamako pendant lesquels je me suis investi dans le long processus d’élaboration de la loi malienne sur la santé de la reproduction. Pour relever ce défi, il a fallu mobiliser des acteurs très différents, obtenir des soutiens à l’Assemblée nationale, auprès des leaders d’opinion, dans la société civile mais aussi à l’international. Nous avons également saisi les opportunités du contexte, comme la Conférence internationale sur la population et le développement qui s’est tenue au Caire en 1994. En bref, un très grand nombre d’initiatives ont permis que je puisse déposer une proposition de loi.

Une des difficultés était de dépasser les critiques nous accusant d’empêcher le développement, de bafouer la tradition ou de promouvoir la débauche. Pour ce faire, nous avons pris le temps d’informer, d’écouter, de débattre. Et nous avons constamment joué la carte santé en valorisant l’intérêt général d’une part, et en conjuguant l’espacement des naissances avec la lutte contre l’infécondité et la stérilité d’autre part. L’un des compromis fut d’éluder toute tentative de définition du couple pour éviter des débats idéologiques et se concentrer sur la santé. Nous avons également décidé d’exclure l’excision ainsi que l’avortement pour ne retenir que leurs conséquences sur la santé. Finalement, la loi n°02-044 relative à la santé de la reproduction (dite loi Lahaou Touré) a été adoptée le 7 juin 2002 à l’unanimité des députés, avec adhésion du gouvernement. Dix ans d’efforts s’étaient écoulés pour toucher au but.

« La loi donne droit d’accéder librement à des services de santé de la reproduction, pour des soins de la meilleure qualité possible »

Quelles sont les avancées majeures apportées par cette loi ? Tout d’abord, elle abroge la loi de 1920 et définit la santé de la reproduction comme «  l’ensemble des mesures préventives, curatives et promotionnelles visant à améliorer la prise en charge des groupes vulnérables (…) et promouvoir ainsi le bien-être de tous les individus ». Elle autorise l’accès aux modes de contraception légaux et établit l’égalité de droit entre les femmes et les hommes en termes de liberté, de responsabilité, d’information et d’utilisation des méthodes de régulation des naissances. Désormais, les femmes sont libres de choisir une méthode de planification familiale sans l’autorisation de leurs maris, sauf si c’est irréversible. En outre, la loi donne droit d’accéder librement à des services de santé de la reproduction pour des soins de la meilleure qualité possible. L’Etat s’oblige ainsi à proposer des dispositifs de soins de proximité sur le territoire. Elle consacre également le droit au counselling par les professionnels.

Malgré ces avancées, le combat ne s’achève pas avec le vote du texte. Maintenant que les droits sont garantis, il s’agit de mobiliser tous les moyens juridiques, financiers, humains et matériels qui sont nécessaires pour qu’ils soient appliqués. Que le Mali se dote lui-même de ces moyens, sans dépendre imprudemment de l’aide, doit être à la fois une priorité politique et un gage de souveraineté.