Lorsque j’étais jeune, nous ne recevions pas d’éducation à proprement parler, ni d’enseignement sur la planification familiale. Le peu d’information que nous avions nous venait de nos grands frères ou de nos oncles. Ils expliquaient succinctement les choses et toutes ces questions restaient sous le sceau de l’interdit. D’ailleurs, les grossesses précoces étaient rares et lorsqu’elles survenaient, elles représentaient une véritable honte pour les familles concernées.

Mais les choses ont changé peu à peu. Les suicides de jeunes filles se sont accrus. À l’hôpital, nous en recevions certaines qui avaient avalé de la chloroquine en quantité pour mourir plutôt que d’affronter la honte d’être enceinte hors mariage. Les infanticides et les avortements clandestins ont aussi augmenté dans des proportions dramatiques. Et à la radio nationale, lors des avis de décès, on entendait fréquemment spécifier « morte à la suite d’un accouchement ».

« Combien d’épouses épuisées à cause de maternités répétées et non désirées ? »

C’est en février 1985, pour la première fois dans l’histoire du Niger, que le Président de la République a lancé l’alarme, lors de l’appel de Matamey. Déplorant la croissance de la mortalité materno-infantile liée aux grossesses trop rapprochées, il demandait à ce que soit engagée une politique de planning familial et d’espacement des naissances. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’avait été créé le Centre national de santé de la reproduction un an plus tôt. La loi n’autorisait pas encore la promotion de la contraception, mais les centres de protection maternelle et infantile pouvaient délivrer les produits. À partir de 1988, les médecins ont pu prescrire la pilule, suivis par les sages-femmes, puis par les infirmiers et enfin les agents de santé communautaires en 1992.

À l’époque, j’étais infirmier d’État en milieu rural. La réalité de terrain était cruelle. Combien de fois ai-je vu le désespoir de jeunes filles enceintes ? L’épuisement d’épouses à cause de maternités répétées et non désirées ? La détresse de familles trop nombreuses pour vivre correctement ? Malgré cela, nous ne pouvions pas parler de ces choses-là ouvertement. Il y avait toujours des groupes de religieux hostiles à la planification familiale, sans compter l’opposition des maris au nom de la tradition. Or leur autorisation était nécessaire : les femmes devaient au moins présenter la pièce d’identité de leur époux à l’agent de santé pour recevoir les produits. Alors, il y en a qui s’arrangeaient pour la subtiliser le temps d’aller à consultation. Les astuces en tout genre ne manquaient pas. Le carnet de santé, par exemple : pour éviter qu’ils tombent en de mauvaises mains, les femmes les confiaient à l’infirmier ou à la sage-femme au lieu de le ramener à la maison. Autre exemple : pour cacher les pilules, elles les plaçaient dans les sacs de riz ou de mil que les maris ne touchent plus une fois achetés. C’est d’ailleurs cette crainte d’être démasquée qui explique le succès des produits injectables arrivés depuis.

« Il n’y a pas d’autre porte de sortie que des familles planifiées pour un développement durable »

Aujourd’hui, je vois au moins trois besoins essentiels pour continuer à progresser. Tout d’abord, il faut un consensus sur les politiques de population. La planification familiale ne doit plus faire l’objet de jeux politiciens en soufflant sur les braises des religieux les plus conservateurs ou en aiguisant le ressentiment envers les pays occidentaux qui nous dicteraient leurs volontés. Il n’y a pas d’autre porte de sortie que des familles planifiées pour un développement choisi, juste et durable.

Ensuite, nous devons améliorer la qualité de l’accueil et des soins. Le temps d’attente, la communication interpersonnelle, la clarté des explications sur les produits, leur posologie et leurs effets, etc. Il faut savoir lever la tête, regarder dans les yeux, écouter la détresse, essayer de comprendre sans poser les questions mécaniquement, accompagner sans juger. Enfin, il s’agit de renforcer davantage encore le travail de terrain. Il faut aider les femmes et les hommes à sortir de l’ignorance, à rejeter les rumeurs malveillantes et à prendre leur destin en main parce qu’ensemble ils y trouvent leur propre intérêt. Notre objectif est que les femmes, les couples s’approprient la planification familiale. C’est tout l’enjeu du counseling, de l’empathie, du souci d’écouter et de comprendre ce dont l’autre a besoin.