À 17 ans, j’ai décidé de rejoindre l’École nationale de santé publique pour devenir sage-femme. Pour être tout à fait honnête, je n’avais pas une idée très précise de ce métier : je voulais travailler dans le domaine de la santé, faire des choses utiles… et puis il y avait l’attrait de la blouse blanche. Mais lorsqu’en fin de 1ère année j’ai assisté à mon premier accouchement en tant qu’apprentie sage-femme, je ne savais plus où j’étais !

J’étais choquée de voir la souffrance de la mère. Je ne m’étais jamais imaginé cela. Mais la directrice m’a dit de m’accrocher et j’ai vaincu mes peurs. Deux semaines après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été affectée dans un village à 60 km de Tahoua. Cela a été le début d’un long parcours qui m’a conduit jusqu’au centre national de santé de la reproduction où j’ai achevé ma carrière en 2012.

« Si le professionnel de santé ne prend pas le temps, ses messages ne seront pas entendus »

Mon expérience m’a appris une leçon capitale dans la façon d’aborder la planification familiale, qu’une femme soit venue seule ou en couple. Il ne faut surtout pas se précipiter sur la contraception : la première chose à faire est de bien comprendre le problème de santé pour lequel les personnes viennent consulter. C’est ce problème-là pour lequel elles attendent une réponse et c’est lui qu’il faut d’abord résoudre. Une fois qu’elles sont rassurées, que vous avez gagné leur confiance et leur écoute, alors vous pouvez tirer les fils entre ce problème et la planification familiale. Si le professionnel ne prend pas ce temps-là pour aller du général au particulier, ses messages ne seront pas entendus. Cela semble du bon sens mais, au quotidien, on est parfois pressé par le monde qui attend : on devient vite des techniciens de la planification familiale au lieu d’être des personnes-ressources capables d’écoute, d’empathie et de pédagogie.

Ce problème d’accueil et de prise en compte des perceptions est vraiment crucial. On sait par exemple que les hommes viennent rarement dans les centres de planification familiale. En fait, ils s’intéressent assez peu à la santé de la famille. Pour eux, c’est le domaine des femmes. La plupart du temps, c’est la mère ou la belle-mère de l’épouse qui l’accompagne aux consultations ou à l’accouchement. Donc quand des hommes viennent au centre, il ne faut pas manquer son coup. Le matin, les maris qui arrivaient avec leur épouse se sentaient perdus au milieu des femmes seules : alors on leur proposait de venir l’après-midi parce qu’il y avait moins de monde ; ou bien on les installaient à part. Faire attention à ce genre de détail, c’est éviter qu’ils partent. Et pendant le counseling, il faut garantir la confidentialité, faire exprimer les réticences du mari, comprendre ce qui a été essayé, ce qui a marché ou pas, bien expliquer les risques et les conséquences de l’absence de planification pour le foyer.

« Ici, les femmes sont habituées à ce que quelqu’un décide toujours tout à leur place »

Quand les hommes comprennent les dangers, quand ils entendent la souffrance, ils évoluent. Encore une fois, ils ne sont pas insensibles : c’est seulement qu’ils ne voient pas leur place et sont prisonniers de croyances ou de traditions culturelles. Evidemment, c’est différent lorsque le niveau d’éducation augmente. Voilà pourquoi la sensibilisation est importante. Et cela marche : quand il y a des émissions sur la planification familiale à la télévision ou à la radio, la fréquentation des centres de consultation augmente mécaniquement dans les jours suivants. Et à chaque fois que des femmes témoignent publiquement et avec courage, cela donne un visage aux problèmes de notre société.

Ici, les femmes sont habituées à ce que quelqu’un décide toujours tout à leur place : la mère, le père, le mari, la belle-mère voire le frère, le beau-frère et même les enfants devenus adultes. Souvent ce sont les vieilles qui poussent à avoir des enfants. Alors que cela devrait être la décision du couple. Les guider pour faire leur propre choix n’est donc pas une tâche facile. Mais quelle fierté quand une femme nous remercie de l’avoir aidée à souffler entre deux grossesses ou qu’après nous avoir écouté, un couple fait un choix de parenté responsable !