Depuis l’enfance, je suis handicapé moteur à cause de la poliomyélite. J’ai souffert sérieusement pour mon intégration sociale et pour trouver un travail, parce que la société ne prend pas en compte le handicap. Quand je réfléchis à ma situation, ma famille a une grande part de responsabilité. Mon père était polygame et ma mère a manqué d’argent pour m’apporter les soins et l’assistance dont j’avais besoin. C’est à cause de la pauvreté du foyer et de la mauvaise condition de la femme qu’elle est restée impuissante devant ma maladie.
Quand je suis devenu journaliste, je me suis dit : plus jamais ça ! Partout où je pourrais agir, intervenir, je le ferai. Je sais communiquer, c’est mon métier, donc je peux donc transmettre des messages. C’est pour cela que je m’adresse aux femmes, aux jeunes, aux familles : pour mieux faire évoluer les questions de planification familiale.
« C’est en langue qu’on doit faire passer les messages qui ne passent pas en français »
J’ai d’abord été journaliste à la radio nationale, mais assez vite j’ai eu envie de m’adresser aux gens qui avaient le plus besoin d’être informés, du fait de leur analphabétisme. Alors j’ai rejoint une radio de proximité, chez moi, à Savalou. C’est une radio en langue locale, notre langue, dans laquelle on doit faire passer les messages qui ne passent pas en français. J’ai créé des émissions sur la santé. Puis j’ai offert mes services aux autorités de santé publique pour les aider à promouvoir les programmes nationaux en langue locale. J’en profitais également pour former mes collègues sur ces sujets.
Et puis, je suis souvent sollicité comme maître de cérémonie lors d’un événement, de la visite d’un ministre ou bien pour des funérailles. Je demande à chaque fois un quart d’heure pour parler des questions de santé. Certains officiels ne sont pas toujours d’accord pour associer leur image à ce quart d’heure de présentation parce qu’ils trouvent que ce n’est pas convenable. Les gens aussi sont souvent surpris d’entendre parler de sexualité ou de planification familiale lors d’une cérémonie qui n’a pas forcément à voir avec ça. Mais j’insiste. Je me souviens d’un roi qui avait même quitté la cérémonie et cela avait suscité beaucoup d’histoires. Finalement, avec l’aide du préfet et de certaines personnes de sa cour, nous l’avons convaincu que ce n’était pas un discours de dépravation sexuelle mais un moyen de regarder la réalité en face plutôt que de faire semblant qu’elle n’existe pas.
« Quand une jeune fille est enceintée, son rêve de vie se brise »
Pour aider à rompre la glace, la présentation débute toujours par une chanson ou un sketch en langue. Ce spectacle amène chacun à se rassembler et à être plus attentif. Et puis je commence : « Bonjour chers parents. Je viens ici pour partager mon expérience, pas pour donner des leçons. Car je comprends votre souffrance, moi qui suis un enfant que la pauvreté a empêché de réussir comme j’aurais pu. Je viens donc voir avec vous comment on peut éviter que des enfants n’arrivent dans des familles qui n’ont pas les moyens de les nourrir, de les soigner et de les envoyer à l’école. Quand une jeune fille est enceintée, son rêve de vie se brise. Le jeune père et la jeune mère sont arrêtés dans leur élan. Et l’avenir de l’enfant lui-même est déjà compromis. Pourtant on a aujourd’hui des méthodes scientifiques, plus efficaces que les méthodes traditionnelles, qui permettent que cela n’arrive pas. Vos enfants ont besoin de parler. Vos enfants ont besoin de conseils. Le sexe ne doit pas plus être une question taboue. Il ne doit plus faire peur. Il ne faut pas faire comme si cela n’existait pas : parce que lorsque le problème est là, c’est trop tard. Il faut les empêcher de devenir des parents trop tôt, il faut prévenir les grosses précoces, il faut éviter qu’ils plongent dans la pauvreté avec un enfant arrivé à cause de l’ignorance ».
Je me souviens qu’une fois, après une présentation, une douzaine de jeunes filles est venue me voir pour me parler seule à seul, pas devant les amies. J’ai demandé au directeur de l’établissement de m’ouvrir une classe… et j’ai reçu plus d’une centaine d’élèves durant l’après-midi !