Il m’est arrivé une histoire qui m’a beaucoup marqué. J’étais à l’aéroport de Bamako, au retour d’une conférence internationale. Il était plus de 22 heures. J’ai pris un taxi pour rentrer chez moi. À la sortie de l’aéroport, pas très loin du goudron, j’ai vu une femme qui criait. J’ai dit au taximan de s’arrêter car je pensais qu’elle venait d’être attaquée. Lui ne voulait pas, alors j’ai insisté. Arrivé près d’elle, je vois qu’elle vient d’accoucher. Elle est là avec le bébé, il y du sang sur eux.
J’appelle vite un ami médecin et à son arrivée, nous l’avons emmenée dans le taxi vers Kati. Pendant le trajet, elle nous a raconté son histoire, en pleurant. Aminata a quitté son village pour venir faire le ménage chez une dame, à 8.000 francs CFA par mois. Quand son petit ami l’a enceintée, son patron l’a renvoyée immédiatement. Sa famille aussi l’a rejetée et elle ne pouvait plus retourner au village. Aminata n’avait que 18 ans et aurait pu mourir seule, comme un animal au bord d’une route, à quelques kilomètres d’une capitale.
« “ Ce qui est fait est fait ” a dit le père. Et il a demandé à voir la fille avec l’enfant »
À la sortie de l’hôpital, la maman de mon ami médecin l’a prise pour travailler chez elle. Mais Aminata ne voulait pas garder son fils. Je lui ai demandé si je pouvais rencontrer son copain et elle a accepté. Celui-ci ne voulait pas assumer la paternité. J’ai essayé de l’intimider en parlant du tribunal, mais j’ai vite compris que ce n’était pas la bonne solution. J’ai lui donc proposé qu’on aille ensemble voir son père pour parler. Il m’a présenté comme un ami. Après les salutations d’usage, j’ai exposé les faits et le papa a été très réaliste : « Ce qui est fait est fait » a-t-il dit et il a demandé à voir la fille avec l’enfant. La présentation s’est bien passée. Le monsieur a même trouvé que son petit-fils lui ressemblait ! Quant à moi, j’ai profité de l’occasion pour sensibiliser la jeune maman à la planification familiale.
En fait, je m’intéresse la planification familiale et à la prévention des IST depuis l’âge de 14-15 ans. J’ai participé à des animations au lycée et je me rendais souvent dans un centre pour m’informer, prendre des brochures et sensibiliser mes amis. J’ai ensuite été recruté comme pair-éducateur pour le « projet jeunes » initié par l’Association malienne pour la protection et la promotion de la famille, puis repris par l’État. Après, je suis devenu animateur, j’ai participé à des rencontres au Mali et à l’étranger, j’ai écrit des sketches et tourné des petites vidéos. Aujourd’hui, je suis l’un des trente ambassadeurs de la planification familiale choisis par la coalition des OSC maliennes née du Partenariat de Ouagadougou. Despuis 2015, je suis également secrétaire général de l’AMPPF.
« Certains acteurs de santé ne font pas de counselling et expédient leurs consultations. »
Alors c’est vrai que l’on fait beaucoup de choses sur la planification familiale et qu’il y a beaucoup d’argent investi. Mais cela bouge trop lentement. Le taux de prévalence contraceptive n’a toujours pas dépassé 10% de la population en âge de procréer. Trop de jeunes déscolarisés sont peu ou mal informé-e-s parce qu’ils sont hors du circuit de la prévention. Pourquoi cette lenteur ? Peut-être faut-il faire évoluer la stratégie ? Peut-être faut-il aller dans les endroits les plus reculés, auprès des gens les plus vulnérables ? Faire du porte-à-porte comme pour la vaccination ? Offrir la gratuité pour les plus démuni-e-s ? Cibler davantage les hommes qui sont souvent la principale force de résistance ?
Et puis l’article 8 de la loi Lahaou Touré n’est pas bien appliqué. Certains acteurs de santé ne font pas de counselling et expédient leurs consultations. Ils n’expliquent pas toujours bien les avantages et les effets secondaires des moyens contraceptifs proposés, ni les risques de l’automédication. C’est important de personnaliser une consultation et de rassurer les patientes. Parfois, les gens se plaignent d’être mal accueillis ou d’attendre alors que le personnel discute tranquillement. Cela décourage la fréquentation. Les gens respectent l’autorité médicale, mais s’ils sont mal considérés, pas compris, alors ils laisseront poliment à la porte du centre les conseils qu’on leur a donnés.