Il y a plusieurs choses qui m’ont décidé à travailler sérieusement sur la planification familiale. D’abord je suis médecin et j’ai eu la chance de travailler pendant quinze ans dans des zones très agricoles. La condition des femmes y est très dure entre leur vie d’épouse, de mère et les travaux champêtres. Souvent on est frôle l’esclavage. J’ai vu des grossesses non désirées, des familles qui augmentent et les problèmes que cela engendre. J’ai suivi des femmes enceintes et je me suis aperçue plus tard que l’enfant était mort en bas âge faute de soins suffisants, soit parce qu’il avait été négligé à cause d’une autre nouveau né, soit pour des raisons économiques.

Et puis je suis femme : cela me fait de la peine de voir les miennes dans des conditions de vie que je n’approuve pas. Les gens me trouvaient trop féministe, mais cela ne me gênait pas. On disait : « Voilà le docteur qui veut libérer nos épouses ». Mais je veux seulement qu’elles aient une existence digne, où elles aient leur mot à dire sans subir les décisions du conjoint. Surtout avec la polygamie qui sévit dans ce milieu. En fait, j’ai un gros défaut : quand je crois que quelque chose peut amener un changement favorable, je le dis et ça ne plait pas, notamment aux hommes.

« Une patiente me dit un jour : je ne veux plus d’enfant, mais mon mari en veut un sixième »

Une fois, j’ai reçu une femme de 33 ans qui avait déjà cinq enfants. Elle avait donc subi l’arrivée d’enfants très rapprochés. Elle m’annonce qu’elle est venue me voir sans le dire à sont mari, alors que normalement c’est lui qui « autorise » les visites médicales. Elle me confie qu’elle ne veut plus d’enfant mais que son époux en veut un sixième. Or le dernier n’avait que 8 mois ! Je lui propose d’en parler à son mari, mais elle refuse de peur de subir des représailles par la suite. Je me suis alors demandé ce que je ferai si j’étais à la place de cette dame.

A cette époque, on disposait de contraceptifs injectables renouvelables tous les deux mois : je lui ai proposé de la traiter et de garder le secret entre nous. Elle venait donc tous les deux mois en cachette, le jour du marché, pour faire son injection. Un jour le monsieur vient me voir : il se demande s’il n’a pas des problèmes parce que sa femme ne tombe pas enceinte malgré des essais répétés. Je riais en moi-même mais, très innocemment, je lui ai dit que c’était certainement la volonté de Dieu. Pendant trois ans, sa femme s’est protégée et finalement, le mari a abandonné l’idée d’avoir un sixième enfant.

« L’un des objectifs prioritaires doit être la gratuité des contraceptifs pour les jeunes »

De 2005 à 2011, j’ai été directrice adjointe puis directrice du cabinet au ministère de la santé. J’ai utilisé mon expérience de terrain pour déterminer les politiques sur lesquelles insister. Je militais pour une réponse aux besoins à la base plutôt que pour des politiques très générales. J’ai donc remis les problèmes de planification familiale à l’ordre du jour. Je voulais que pauvre ou riche, on ait accès facilement aux soins : c’est ce qui a motivé notre travail sur la promotion des mutuelles de santé, puis sur l’assurance maladie universelle. Aujourd’hui, la planification familiale est reconnue. Mais le Bénin a du retard. Il faut investir dans l’éducation et dans l’accès aux produits contraceptifs pour que le taux de prévention atteigne les 20% sur lesquels nous nous sommes engagés à la conférence d’Addis-Abeba en 2013. Et l’un des objectifs prioritaires doit être la gratuité des contraceptifs pour les jeunes.

Aujourd’hui je poursuis mon travail à l’association béninoise pour la promotion de la planification familiale. L’ABPF propose des consultations de suivi prénatal dans ses cliniques. Nous avons aussi des accords avec les centres de santé publique pour former leurs agents grâce à notre expertise. Et nous œuvrons pour que les jeunes soient informés dès le plus jeune âge, à partir de 10 ans jusqu’à 24, pour qu’ensuite des messages clairs circulent entre eux, entre pairs.