La première fois où j’ai vraiment appris ce qu’était la planification familiale, c’était vers l’âge de 12 ou 13 ans, pour un exposé qu’on nous avait demandé de faire à l’école. Je suis passée dans un centre pour me documenter. Plus tard, j’y suis retournée pour parler avec le chargé d’information-communication. On a un discuté de tout et de rien. Je lui ai raconté que je n’arrivais pas à m’intéresser au cours quand le professeur parlait. Alors le gars m’a demandé si j’étais amoureuse et si c’était pour cette raison que je n’écoutais pas en classe. Cela m’a fait rire.

Non, je n’étais pas amoureuse : c’est juste que je n’étais pas connectée. Mais sa remarque m’a vraiment amusée et puis je cherchais à m’engager ; alors j’ai décidé d’y retourner pour assister à la réunion mensuelle du centre. C’est là que sont présentés le rapport d’activité du mois écoulé et le planning du mois suivant. J’ai été bien accueillie, on a brisé la glace, on m’a impliquée : bref, je me suis sentie bien. J’ai commencé à participer aux activités. Ce que disaient les jeunes m’intéressait. Je voulais faire quelque chose qui avait du sens et là, j’avais trouvé.

« Un des freins à la planification familiale est lié à la place de la femme dans la société »

Je viens d’un quartier où un jeune et un adulte ne peuvent pas parler de certains sujets les yeux dans les yeux. On n’aborde pas les questions de sexe, surtout si on est une fille et qu’on ne veut pas être accusée de vagabondage. Et puis on ne pose pas ces questions tout simplement parce qu’on n’a jamais entendu quelqu’un d’autre les poser. Au sein du Mouvement d’action des jeunes de l’ASBEF-Sénégal, je peux aider à ouvrir ces portes, à interroger les vérités toutes faites. Je me sens utile et, en plus, cela crée des liens forts avec les jeunes. On peut aborder tous les sujets sans honte. C’est free quoi ! On est là pour les écouter, pour les aider à réfléchir et à faire des choix au lieu de subir ce que les autres attendent d’elles. En particulier les jeunes filles. Elles ont besoin d’acquérir une certaine estime d’elles-mêmes afin de pouvoir prendre soin d’elles et se protéger.

Peu à peu, j’ai compris qu’un des principaux freins à la planification familiale était lié à la place de la femme dans la société ouest-africaine. Lorsqu’une femme veut prévoir la naissance de ses enfants, on lui dit qu’elle prend ses libertés, qu’elle refuse d’en avoir pour faire sa vie et pavaner. Et si elle se plaint de son mari, la réplique est toujours la même : « Il te loge, il te nourrit, il t’habille, il remplit son devoir conjugal : alors de quoi te plains-tu ? ». C’est comme ça. La femme doit endurer et se soumettre, car le pouvoir appartient à l’homme. Ce n’est même pas un sujet de discussion ! Et si une femme n’a pas de famille, pas de foyer, elle n’est rien.

« Ici, la plupart des hommes n’aiment pas vivre avec des femmes aussi éduquées qu’eux »

Mon papa m’a maintes fois mise en garde contre les études en droit que je voulais entreprendre : il me disait que si je ne me mariais pas jeune, après ce serait plus dur. Ici, la plupart des hommes n’aiment pas vivre avec des femmes aussi éduquées qu’eux, voire plus. Ils ont l’impression que cela les rend faibles. Mais comme on dit, les tonneaux vides font beaucoup plus de bruit que les pleins ! Un jour, un garçon m’a même avoué : « Je n’aime pas les étudiantes en droit ni les femmes juristes. On ne peut pas vivre avec elles parce qu’elles ne se laissent pas faire. Quand l’homme dit quelque chose, elles posent des questions, attendent des réponses et veulent qu’on se justifie ». Heureusement, tous les hommes ne sont pas comme ça.

Ceci dit, il y a encore énormément de travail pour que les mentalités évoluent. Pour beaucoup, se marier et avoir des enfants est une question de religion, de tradition, de regard social… de main-d’œuvre même ! Cela conduit parfois à engager une course au nombre d’enfants. Mais les femmes ne sont pas des choses qui produisent des enfants. Ce sont des personnes et, en tant que personnes à part entière, elles ont des droits à l’égal des hommes. Il doit y avoir un équilibre, un partage parce que les droits sont faits pour tous.