Ma démarche spirituelle s’inscrit dans un courant qui propose une lecture modernisée de la question religieuse. Le corpus islamique est ainsi mis en contexte avec les réalités historiques, géographiques, socio-économiques, etc. Si les choses évoluent, alors le regard doit évoluer. Cela permet d’aborder autrement les problèmes que nous vivons aujourd’hui en tant que musulmans. Par exemple, l’explosion démographique et le poids qu’elle fait peser en 2016 sur les populations au Burkina : notre lecture ne peut pas être la même que dans la péninsule arabique du VIIème siècle.

Cette contextualisation des textes religieux est commune aux deux groupements auxquels j’appartiens : l’Association des élèves et étudiants musulmans du Burkina et le Cercle d’études de recherche et de formation islamique. Nous incarnons une tendance intellectuelle et réformiste de l’islam, parfois en confrontation avec d’autres associations, mais qui a maintenant acquis une reconnaissance certaine dans la communauté.

« Ce ne sont pas seulement les considérations sur l’acte sexuel qui guident l’interprétation, mais aussi la capacité du foyer à vivre dignement »

En lien avec la Jeunesse étudiante catholique et le Groupe biblique (protestant), nous avons contribué à la réalisation d’un document sur la « procréation responsable » qui a été validé par l’Union des religieux et coutumiers du Burkina. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il y a des problèmes de population à gérer. Par contre, les approches et les interprétations des textes sur les outils de planification familiale vont différer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il existe une brochure pour chaque grande religion.

Le choix des mots est important pour gagner l’adhésion des croyants et ne pas s’aliéner certaines autorités religieuses. C’est pourquoi nous avons préféré le terme « procréation responsable » à « espacement des naissances » : cela inclut les techniques d’allaitement maternel exclusif pendant au moins deux ans et le coït interrompu, tous deux prévus dans les textes. Les interprétations de certains jurisconsultes sont également ouvertes aux méthodes modernes de contraception. Ce ne sont pas seulement les considérations sur l’acte sexuel qui guident l’interprétation, mais aussi la capacité du foyer à vivre dignement. Parler de procréation responsable invite les parents à préserver la santé de leurs enfants et à assurer leur éducation, conformément à l’enseignement du Prophète. En outre, il s’agit de limiter la promiscuité, la mendicité ou l’exploitation des enfants sous couvert de l’islam.

« Nous formons des imams et des prédicateurs pour relayer nos messages lors des cérémonies »

Sur le terrain, nous organisons des activités de plaidoyer. Par exemple, dans le cadre de la campagne de communication « 1 million de voix pour la santé de la reproduction et la planification familiale au Burkina Faso », nous sensibilisons des leaders religieux et coutumiers dans les 13 régions du pays couvrant au moins 50 districts sanitaires. Nous formons aussi des imams et des prédicateurs pour relayer nos messages lors des cérémonies. Et nos animateurs organisent des causeries sur les lieux de culte ou lors de rassemblements. Enfin, en tant qu’imams, nous offrons des activités de counselling et de suivi personnalisé auprès des personnes qui ont besoin d’aide.

Nous avons conscience que la religion peut parfois conduire à la stigmatisation. Certains croyants se hâtent de juger au lieu de chercher à comprendre celles ou ceux qui suivent un chemin différent. À travers les publications, les formations, les prêches, nous nous employons donc à convaincre les fidèles de dépasser la condamnation. Comme il est écrit au verset 48 de la sourate 5 (المائدةAl-Ma’idh – La table est servie) : « Si Allah avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu’Il vous donne. Rivalisez donc d’efforts dans l’accomplissement de bonnes œuvres ». Le respect de la diversité est un défi. Bien gérée, c’est une richesse ; sinon, elle peut s’exprimer dans la volonté de puissance, de pouvoir sans partage et de violence dans ce monde où différentes traditions se mêlent et vivent ensemble.