Si je suis devenue sage-femme, c’est pour voir des femmes épanouies par la maternité, les suivre durant leur grossesse, les aider pendant l’accouchement et les voir heureuses d’accueillir leur bébé. Quand une femme pleure parce qu’elle est à nouveau enceinte, qu’elle a peur des complications, qu’elle angoisse à l’idée de retourner chez elle après, je suis forcément émue par la situation.

Regardez ce qui se passe quand une femme subit des grossesses à répétition, la plupart non désirées. Elle est fatiguée. Elle a un enfant dans le dos, un bébé qui tête au sein et elle doit surveiller les deux autres qui jouent par terre et commencent à se disputer. Il y a la cuisine à préparer, le linge à laver, le ménage à faire, le mari à satisfaire. Et la peur qu’il arrive le moindre imprévu parce que le foyer ne pourra pas faire face financièrement. En plus, la vie est chère en ville.

« Je cherche avec chaque patiente ce qui est le mieux pour elle »

Dans le centre de santé, je vois environ un tiers des femmes qui ont des grossesses répétées. Certaines sont même enceintes avant leur retour de couches, c’est-à-dire avant la réapparition de leurs menstrues. Dans la majorité des cas, elles ne nourrissaient pas le bébé par allaitement exclusif, que ce soit à cause des contraintes du travail, du stress ou bien d’une séropositivité au VIH/sida. Or la tétée stimule une hormone qui retarde l’ovulation. Alors si une femme fait de 6 à 10 tétées régulières par jour, sans autre mode d’alimentation du bébé, cela lui procure une contraception naturelle équivalant à celle d’une pilule ou d’un stérilet. Au moins pendant six mois. Au-delà, il est plus prudent de reprendre une contraception adaptée, même si l’allaitement se prolonge.

Mais beaucoup de femmes ne savent pas tout cela. Sans compter les pseudo-interdits religieux et les idées fausses. Les femmes parlent dans les marchés, dans les quartiers : c’est ainsi que sont colportées les bêtises. « La pilule ça rend stérile et même ça donne le cancer ! » ou bien « Eh ! Tu vas prendre du poids avec ça, dèh, et ton mari il ne va plus t’aimer ». On y croit, surtout si la personne qui parle est un peu âgée, qu’elle a un peu d’autorité. À cela s’ajoute la pression culturelle : une femme est faite pour donner naissance après le mariage et les mamans des jeunes épouses veulent vite des petits-enfants. En consultation, pour convaincre du bienfondé de la contraception, je m’appuie sur des dessins qui illustrent mes explications. Je commence par montrer les organes de reproduction, puis les modes de contraception possibles : les comprimés, les injectables, les implants, le stérilet, le préservatif. Je cherche avec chaque patiente ce qui est le mieux pour elle et pour son foyer. Et j’explique bien les risques d’effet secondaire.

« La fierté des hommes passe au-dessus de la santé des femmes et des enfants »

S’il y a un problème avec un mari récalcitrant, je peux lui demander de venir pour en discuter. Mais les hommes résistent. En fait, au fond d’eux-mêmes, ils savent qu’ils ont des préjugés. Ils se disent qu’en venant à la consultation avec leur épouse, je vais les convaincre par des faits, par des arguments scientifiques auxquels ils n’auront pas vraiment de réponse. Comme ils ne veulent pas perdre la face devant une femme, ni fragiliser leur autorité devant leur épouse, ils esquivent les centres de santé. Leur fierté passe au-dessus de la santé de la femme et de l’enfant.

On peut faire beaucoup de choses pour faire évoluer l’accès aux produits et aux consultations. Côté financier, s’informer est gratuit, mais les prescriptions de pilule coûtent de 600 à 1.000 francs CFA tous les deux mois. Les prix sont plus élevés, donc moins abordables, pour les produits injectables et les implants. Pour faire progresser la planification familiale, la gratuité complète des produits contraceptifs serait donc une incitation non négligeable. L’insuffisance de centres de proximité offrant une bonne qualité d’écoute et de soins est aussi un problème. Il faut vraiment prendre ce problème à cœur : c’est de la santé publique. Une famille est déjà un petit pays. Si ce petit pays n’est pas bien éduqué, en bonne santé, heureux de vivre, comment le grand pays peut-il aller bien ?