Avant je faisais de la sensibilisation dans les écoles et les villages, bénévolement. Puis j’ai suivi des formations sur les soins palliatifs, la prise en charge des personnes vivant avec le VIH/sida (PVVIH) et aussi sur la santé de la reproduction. Depuis 2010, je suis conseillère communautaire salariée dans un centre de dépistage et de suivi PVVIH.
Ici, on suit environ 900 personnes séropositives. Il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes. Il faut dire que les femmes sont plus soucieuses de la santé que les hommes et ces derniers viennent moins se faire dépister. Mon rôle est d’accompagner les personnes qui viennent au centre pour qu’elles suivent bien leur traitement, parlent de leurs difficultés à se soigner mais aussi des problèmes qu’elles rencontrent dans leur vie de tous les jours. La santé sexuelle en fait évidemment partie.
« Il faut choisir le bon moment pour avoir un enfant et pouvoir espacer les naissances »
Pourquoi parler de planification familiale avec une femme séropositive au VIH/sida ? Une grossesse provoque des bouleversements dans l’organisme. C’est le cas pour toutes les femmes. Mais lorsqu’on est infectée par le virus, cela affaiblit les défenses immunitaires surtout si elles ne sont pas trop élevées. Attendre un bébé présente donc un risque qui s’aggrave avec des grossesses répétées. C’est pourquoi il faut choisir le bon moment pour avoir un enfant et pouvoir espacer les naissances. Ce bon moment, c’est quand la patiente a une charge virale indétectable et que le traitement est bien suivi : cela évite alors la contamination du mari (s’il est séronégatif) et celle de l’enfant.
Techniquement, on conseille le préservatif. En effet, c’est la seule méthode contraceptive qui évite la contamination (ou la surinfection si le monsieur est aussi séropositif). Mais il arrive souvent que les femmes que nous voyons en consultation n’aient pas divulgué leur séropositivité à leur mari. Pour elles, il est difficile de proposer le préservatif s’il n’était pas déjà utilisé par le couple comme moyen de planification familiale. Le traitement, s’il marche bien, pourra éviter la contamination du mari, mais il n’empêchera pas la dame d’être enceintée. La patiente peut alors inciter son époux à venir faire un test avec elle. En tant qu’agent communautaire, je fais comme si je ne connaissais pas la dame pour éviter tout soupçon. À l’annonce des résultats, je suggère le port du préservatif pendant les rapports. Si le mari ne veut pas faire le test et refuse aussi les préservatifs, avec le médecin, nous proposons les autres méthodes contraceptives : elles permettront au moins d’éliminer le risque de grossesse pour la dame jusqu’au moment où elle choisira d’avoir un enfant.
« Les hommes mesurent trop leur puissance avec leur zizi »
Je me souviens d’une jeune femme, musulmane. Elle était séropositive et avait déjà deux enfants avec un an d’écart. On a suggéré à la dame d’envoyer son mari faire le test. Il était séronégatif. Quand il a su que sa femme était infectée, je lui ai expliqué qu’en Afrique il n’y a pas que les rapports sexuels qui sont contaminants. Par exemple, on a eu des cas chez des tisseuses à cause d’aiguilles pas bien lavées dans les ateliers. Ou bien chez des manucures qui avaient négligé de nettoyer leur matériel entre deux clientes. Le monsieur a été compréhensif. Comme sa femme était très affaiblie par les deux grossesses, il a accepté d’utiliser le préservatif qu’il refusait auparavant. Trois ans après, ils on voulu avoir un autre enfant. Sa femme avait une charge virale indétectable et ils ont pu enlever le préservatif pour concevoir. Si elle n’avait pas pris l’initiative de planifier, cette dame serait peut-être morte alors qu’aujourd’hui elle s’occupe bien de sa famille et du petit commerce qu’elle a monté.
Hélas, VIH ou pas, la planification familiale en Afrique est surtout l’affaire des femmes. Les maris ont encore beaucoup de réticences et elles sont contraintes de procéder en cachette. Pourtant ce devrait être une décision de couple. Les hommes mesurent trop leur puissance avec leur zizi : avoir beaucoup d’enfants, se passer du préservatif, c’est montrer qu’on est viril. Même si une famille trop nombreuse accroît la pauvreté. Les femmes doivent s’élever pour dire non : la santé et le bien-être avant tout !