Je me souviens d’un court-métrage de la réalisatrice nigérienne Aïcha Macky intitulé « Savoir faire le lit ». Le film commence par les préparatifs d’une jeune fille au mariage. Dans la tradition nigérienne, on lui prodigue des conseils entre femmes. Mais comme chez nous on ne dit pas vraiment les choses, il lui est seulement recommandé de bien savoir faire son lit. La jeune fille s’applique tellement qu’elle finit par savoir faire un lit bien bordé et sans aucun faux pli. Évidemment, le message était si codé qu’elle ne comprend pas qu’il s’agit de bien s’occuper de son mari sexuellement. Et cela lui vaudra des déboires par la suite.

Je trouve que ce film illustre très bien l’impasse des tabous et des non-dits dans laquelle est enfermée l’éducation à la santé sexuelle et reproductive à cause de la culture dominante au Niger. Comme tous les jeunes, moi aussi je me suis posé des questions et les réponses qu’on m’a faites n’étaient pas toujours évidentes. Là où j’ai vraiment appris, c’est en me formant aux questions de genre et de santé des jeunes pour devenir pair-éducateur dans le cadre associatif.

« Pour faciliter l’accès à l’information et au matériel de prévention, nous avons mieux fait connaître le travail de l’infirmerie universitaire »

Quand j’ai rejoint l’université, j’ai pu intégrer le projet LUC : « leadership universitaire pour un changement de comportement en santé sexuelle et reproductive des jeunes ». Il faut préciser que par le passé, Niamey accueillait la seule université du pays. C’était donc le Niger en miniature avec toutes les couches socioculturelles, toutes les régions, toutes les ethnies. Il y avait aussi un véritable brassage religieux, chaque confession ayant en son sein des conservateurs, des modérés et d’autres que cela n’intéressait pas. Et bien sûr, la mixité de genre. Même avec des bâtiments séparés, filles et garçons se fréquentent d’un immeuble à l’autre, y compris à des heures tardives. Inutile de dire que la sexualité fait donc partie de la vie estudiantine. Pourtant il y a d’un côté ce qui se dit (ou ne se dit pas) et de l’autre ce qui se fait.

En effet, les jeunes hésitent à aborder le sujet sérieusement. Ce n’est pas qu’ils n’en ont pas envie : ils aimeraient en savoir plus et partager ce qu’ils vivent ; mais il est compliqué d’en parler aux adultes et, même s’ils discutent entre eux, la sincérité a parfois du mal à se frayer un chemin entre la méfiance et la vantardise. Pour faciliter l’accès à l’information et au matériel de prévention, nous avons contribué à mieux fait connaître le rôle de l’infirmerie en matière de santé reproductive. La délivrance des préservatifs ou de la pilule faisait l’objet de fiches de suivi pour analyser la fréquentation et assurer l’approvisionnement. Pour les plus réservés, nous avions également laissé des préservatifs en libre accès dans les couloirs de l’infirmerie ou auprès des pairs-éducateurs.

« Il faudrait renforcer la pair-éducation et l’élargir au milieu rural »

Après la phase pilote à Niamey, le projet LUC a été expérimenté dans trois universités créées depuis à Zinder, Maradi et Tahoua. J’ai alors été recruté comme consultant à Zinder. En décembre 2016, lors de la rencontre annuelle du Partenariat de Ouagadougou, c’est à partir de cette expérience que j’ai proposé des recommandations pour répondre aux besoins des jeunes. Puisqu’il s’agit d’un problème majeur de santé publique et de développement, je suggère d’insérer un module sur la santé sexuelle et reproductive dans tous les curricula universitaires. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que cet enseignement a été retiré des programmes de 4e et 3e pour être limité aux sections de terminale D. Même s’il y eu des tentatives pour réintroduire certains modules, cela reste encore trop timide.

Parallèlement, il faudrait renforcer la pair-éducation et l’élargir au milieu rural qui reste très démuni. Seul ce travail de proximité peut permettre de sensibiliser des jeunes peu ou pas éduqués, dans un contexte où les croyances traditionnelles restent très ancrées. Cet état de fait concerne aussi les professionnels de santé dont l’avis reste discrétionnaire pour la délivrance des produits contraceptifs aux personnes célibataires des deux sexes.