Après la faculté de médecine, j’ai exercé pendant deux ans dans un hôpital régional. C’était à Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire. Ensuite, je me suis installé à l’intérieur du pays pour toucher du doigt d’autres réalités. Mais avec la crise politico-militaire de 2002, j’ai dû regagner la capitale économique. Une cellule avait été mise en place pour la prise en charge médicale et psycho-sociale des personnes déplacées. J’ai décidé de la rejoindre. Après tout, en tant que déplacé moi-même, il me semblait que je comprendrais mieux ce qui leur était arrivé.
C’est là que j’ai pu expérimenter le travail pluridisciplinaire entre médecins, infirmiers, psychologues et travailleurs sociaux. J’ai compris tout l’intérêt d’une prise en charge globale et concertée des patients. C’est cela la santé publique : savoir écouter les besoins, les mettre en perspective, coordonner les efforts et faire la différence sur la santé des nos concitoyens.
« Une planification familiale déficiente a des répercussions sanitaires »
En 2004, j’ai intégré la Direction de la Coordination du Programme national Santé de la reproduction et Planification familiale du Ministère de la santé (rebaptisée ensuite Direction de Coordination du Programme national de santé de la mère et de l’enfant). J’ai d’abord travaillé sur les violences sexuelles. Au bout de trois ans, je suis parti à Ouidah (Bénin) pour suivre un master en santé de la reproduction (SR) à l’Institut régional de santé publique. De retour à Abidjan, j’ai été nommé chargé d’études sur la prise en charge et la qualité des soins en santé de la reproduction, puis sur l’intégration des IST/VIH/sida en SR. J’ai également participé à l’élaboration de plusieurs documents stratégiques dont le Plan d’action national budgétisé sur la planification familiale pour la période 2015-2020.
Ce Plan vise un taux de prévalence contraceptive à 36% en 2020, contre 13,9% en 2012. Pour atteindre ce résultat, des objectifs ont été fixés pour chaque région et district sanitaires, selon leur contexte. La planification familiale fait désormais partie du paquet minimum d’activités des centres de santé. Plus de 90% d’entre eux proposent ces services, notamment la mise à disposition de matériel : préservatifs, pilules et produits injectables au minimum ; implants et stérilets si le centre dispose des compétences nécessaires. Le comité technique de suivi du Plan se réunit chaque trois mois et le comité de pilotage tous les six mois. Nous faisons également des visites de terrain afin de dénouer les blocages existants. Dans la majorité des cas, il faut convaincre les professionnels de l’importance des enjeux. C’est en ce sens que nous initions des actions de formation, car une planification familiale déficiente a des répercussions sanitaires désastreuses sur la santé maternelle, néonatale et infantile.
« Faute de prévention, les avortements clandestins causent environ 15% des décès maternels »
Nous avons aussi œuvré à l’avant-projet de loi sur la santé de la reproduction qui a été finalisé en décembre 2016. Nous attendons son passage en Conseil des ministres puis au Parlement. Beaucoup espèrent une adoption fin 2017. Deux points parmi d’autres seront discutés. Le premier est l’initiation de la prescription des produits contraceptifs par les agents de santé communautaire (ASC). Nous préparons une étude pilote sur quelques districts : nous allons évaluer la capacité technique des ASC en termes de respect de la confidentialité médicale, de prise en charge des effets indésirables induits par ce dispositif ainsi que de recrutement de nouvelles patientes, etc. Le protocole de l’étude a été validé et les résultats sont attendus fin 2018.
Le second point concerne l’âge minimum à partir duquel un jeune peut avoir accès à l’information. Certains assimilent la prévention à une incitation à la débauche, d’autres constatent avec réalisme les dégâts provoqués par les avortements clandestins qui comptent pour environ 15% des décès maternels. À cela s’ajoutent les vies brisées à cause de grossesses non désirées. Être informé est un droit qui sauve des vies. Dénier ce droit, c’est comme une gangrène qui tue à petit feu. On ne voit pas le mal progresser et quand on veut faire quelque chose c’est déjà trop tard.