Un jour, un de mes camarades de lycée m’a demandé de l’accompagner à un atelier sans vraiment me dire de quoi il s’agissait. Je n’avais pas envie de sortir mais il a insisté, alors je l’ai suivi. Organisé par une ONG, cet atelier s’inscrivait dans un projet intitulé « la voie des jeunes pour la contraception ». Il y avait 25 inscrits : 13 garçons et 12 filles. Quand je suis arrivé, on m’a dit qu’il n’y avait plus de place. Heureusement, quelqu’un s’est désisté au dernier moment et j’ai rejoint le groupe.
J’ai appris beaucoup de choses, d’autant que ce sont des sujets tabous dont on ne parle pas en famille. J’avais eu des cours d’éducation civique et morale en classes de 4e et de 3e, mais c’était assez théorique. Certains enseignants n’étaient pas à l’aise ni très précis. Et entre amis, on parlait plutôt des techniques de drague que de la façon d’éviter les IST ou les grossesses non désirées.
« Dire les choses, c’est permettre de les modifier »
Les informations reçues à l’atelier m’ont été utiles car je commençais à être actif sexuellement. Cela m’a aussi donné l’envie de les partager avec d’autres. Lorsqu’on m’a contacté pour participer au projet « Community Assistance for Responding to Aids », j’ai tout de suite dit oui. Je suis vite devenu pair-éducateur pour orienter les jeunes vers des centres de dépistage du VIH/sida. Plus tard, grâce au programme « Agir-PF », j’ai suivi une formation sur le genre et la santé sexuelle et reproductive des jeunes et adolescents. Cela m’a vraiment permis de voir les choses autrement. Il y a tant de préjugés liés à l’ignorance ou aux rumeurs ! J’entends parfois que ce serait le préservatif qui donne le VIH/sida, qu’il enlèverait du plaisir ou bien ferait mal pendant les rapports. Quant aux autres moyens contraceptifs, certaines filles croient qu’ils sont réservés aux femmes mariées.
Avec les jeunes, on parle aussi du regard des autres qui pèse trop. Acheter des contraceptifs dans le quartier, par exemple, c’est prendre le risque d’être vu et d’avoir la honte. Aller dans un centre de santé plus éloigné, c’est parfois se sentir humilié quand un professionnel vous dit d’un air supérieur : « Ton sexe est encore petit et au lieu de rester près de maman, voilà ce que tu fais ! ». Il y a aussi les non-dits qui font du mal. Pour beaucoup de garçons, si une fille accepte de venir chez eux, c’est qu’elle est consentante. Alors ils ne posent même pas la question et la fille se résigne souvent sans protester. Elle croit que c’est comme ça pour tout le monde, que c’est une fatalité. Elle ne sait pas qu’elle peut dire non. Elle ne connaît pas ses droits. Pourtant, si la fille repoussait le garçon, peut-être prendrait-il conscience de sa brutalité ? Il ne faut plus se taire. Dire les choses, c’est se permettre de les modifier.
« Ce qui me choque le plus, c’est le poids des attentes sociales »
Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, les femmes subissent, les jeunes filles subissent. Elles restent dans le silence. Elles admettent ce qui leur arrive sans même se sentir victimes. Pourquoi les filles abandonnent l’école ? Parce que dès le bas âge, elles entendent qu’il faut trouver un bon mari, qu’il faut être une bonne ménagère. Ce qui va leur arriver est déjà écrit et c’est ce que les hommes attendent d’elles. C’est aussi ce que les femmes leur demandent de faire. Par exemple, l’autre jour, un voisin faisait la lessive pour que sa femme souffrante se repose. En le voyant faire, les voisines sont venues faire du commérage : « Adama, et ta femme, elle est pas là ? Si, alors elle est là pour quoi ? ».
Ce qui me choque le plus, c’est le poids des attentes sociales. Quand une personne agit différemment des autres, on dit qu’elle est « gaou », qu’elle est différente. Au mieux on l’ignore. Sinon, on la stigmatise. Moi, cela ne m’atteint pas. Je vois bien que les gens sont prisonniers de leur mentalité. Tout le monde fait quelque chose, alors on reproduit. Pour se sentir puissant, un jeune doit avoir beaucoup de « go » (de copines) : alors il va multiplier les conquêtes. Pour être une femme, il faut attraper un bon mari et bien s’en occuper: alors à quoi sert l’école ? Chacun prend la place qu’on attend de lui ou d’elle dans la société. Je ne juge pas les personnes. Je juge notre incapacité à réfléchir aussi par nous-mêmes. La vraie question, c’est pourquoi on n’apprend pas à être soi-même, dans le respect de l’Autre ?