Le respect des droits humains a toujours été un repère moral et un engagement fort pour moi. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui explique mon engagement professionnel au service de la justice. Très rapidement dans ma carrière, j’ai été amenée à travailler sur les droits des femmes.
A l’époque, j’étais encore juge d’instruction au tribunal de grande instance. Pendant dix ans, j’ai reçu des dossiers de jeunes filles interpelées pour cause d’avortement ou d’infanticide. Souvent, les femmes et les jeunes filles qui se trouvaient assises face à moi ne savaient pas grand-chose de la sexualité et ignoraient leurs droits. D’abord par manque d’éducation, car l’analphabétisme était fréquent dans ces situations ; et puis culturellement le sexe est un tabou, alors les parents n’en parlent pas. Même si elles en discutaient avec des amies, celles-ci n’en savaient pas beaucoup plus. Dans les cas que j’ai eu à traiter, combien de fois la grossesse suivait la première expérience. Et c’est là que commence la spirale. Sans mari, une mère est bannie de la famille : alors elles essaient de recourir à un avortement clandestin. Si la tentative d’avortement échoue, elles sont envoyées chez d’autres membres de la famille ou des tiers qui les maltraitent la plupart du temps. Finalement, nombre d’entre elles accouchent seules, dans des conditions sanitaires désastreuses.
« Je ne pouvais pas rester insensible »
Alors comment faire quand on doit appliquer la loi ? Comment ne pas être touchée face au destin de jeunes filles qui n’arrivent pas à s’exprimer pour se défendre et n’ont pas les moyens de se payer un avocat ? Normalement, le juge ne doit pas avoir d’état d’âme ; mais en tant que citoyenne, je ne pouvais pas rester les bras croisés. Des organisations de la société civile m’ont approchée et j’ai commencé à travailler de façon informelle sur les droits des femmes. Puis je suis passée à la vitesse supérieure avec l’association des femmes juristes du Burkina Faso. Aujourd’hui, nous menons plusieurs projets sur les droits et la santé sexuels et reproductifs des femmes. C’est même inscrit comme un point essentiel du plan stratégique de l’association.
Au cœur de ce travail de longue haleine, il y a un objectif : vulgariser, promouvoir et améliorer les droits des femmes pour en écarter ce qui les discrimine. Il faut aussi prendre en compte les engagements internationaux du Burkina Faso, comme celui pris à Londres de sécuriser un certain pourcentage budgétaire en faveur de la santé des femmes. Nous menons donc une campagne collective vers les nouvelles autorités du pays afin qu’elles respectent la parole donnée. Sans relâche, il nous faut faire connaître le droit existant, en montrer les possibilités comme les limites et puis le faire évoluer.
« Il faut libérer la parole »
Et puis il y a le travail de terrain. Un des plus mes beaux souvenirs dans notre lutte pour faire reconnaître les droits des femmes concerne une jeune fille qui était en classe de terminale. Son père avait « juré », c’est-à-dire qu’il avait promis sa fille au futur mari et ne pouvait se renier sans perdre son honneur. Le mariage forcé a eu lieu, mais nous avons aidé cette jeune fille pour qu’il soit cassé. Une cousine l’a hébergée, le temps que son père puisse dépasser « la honte ». Au lieu de le poursuivre en justice pour la part qu’il avait prise dans ce mariage forcé, nous avons œuvré à une réconciliation familiale, en grande partie grâce à la mère plus compréhensive. C’est le dialogue qui a permis de dénouer les choses : cette jeune fille a pu retourner dans sa maison et continuer ses études.
Je rêve d’un avenir où les femmes d’ici seront suffisamment éduquées et à l’aise pour pouvoir parler de vie amoureuse et de sexualité à leurs filles ou leurs petites filles. En fait, libérer la parole est fondamental pour que les droits des femmes soient compris et respectés.