J’ai été adolescent. Aujourd’hui je suis parent. J’ai grandi, mais je n’ai pas oublié les questions que je me posais à l’époque sur ma vie amoureuse et mes premières expériences sexuelles. Mes enfants vivent sûrement des doutes et des peurs très semblables. Pourtant, si les sentiments sont les mêmes, la façon de les exprimer et de les vivre a changé, parce que le contexte est différent.

Ce qui me frappe, ce sont les décalages qui sont apparus depuis quelques années sur la sexualité. On a encore du mal à en parler en famille, mais on la regarde côte-à-côte à la télévision. Sans parler de la pornographie sur internet. C’est comme si nous étions une société à la fois prude et impudique, ce qui est assez contradictoire… ou hypocrite ! Il y a aussi un décalage entre les générations. Les plus âgés refusent souvent de voir que les choses bougent et accusent les jeunes de bafouer la tradition. Mais la tradition est ce que les gens en font, elle évolue avec eux. De leur côté, beaucoup de jeunes parlent sans savoir, pour s’affirmer. Ils copient les autres afin de ne pas être en reste. Ce n’est pas nouveau bien sûr, mais aujourd’hui ils manquent parfois de repères et de limites : ils mettent au même niveau l’amour et le désir charnel, la relation amoureuse et le rapport sexuel.

« Les réseaux sociaux court-circuitent un dialogue déjà fragile entre les jeunes et leurs aînés »

En fait, j’ai l’impression que l’on résiste moins aux pulsions parce que la société de consommation pousse à vouloir tout, tout de suite, d’un simple clic. Par ailleurs, les réseaux sociaux ont complètement changé la donne. Ils court-circuitent un dialogue déjà fragile entre les jeunes et leurs aînés. Quand une jeune fille se pose des questions, elle cherche les réponses auprès de n’importe qui sur internet, mais pas auprès des badjénu gohkh, ces tantes qui permettaient de dépasser la barrière mère-fille Les jeunes parlent avec le monde entier, mais pas assez avec celles et ceux qui sont juste à côté d’eux. En plus, ils se croient en sécurité parce qu’ils sont dans leur chambre : ils écrivent des choses intimes sur les tchats et postent des photos sur Facebook sans comprendre les conséquences. Cela ne leur viendrait pas à l’idée de se promener tout nu dans la rue, mais ils le font sur la plus grande avenue du monde : internet. Et plus ils sont likés, plus ils continuent.

Moi aussi j’utilise les réseaux sociaux pour discuter avec les jeunes sur Facebook et Twitter. Les concerts sont aussi un autre moyen de rencontre. Si on veut communiquer sans être moralisateur, c’est important de les écouter, de comprendre leur langage, leurs codes, les expressions à la mode. Cela évolue très vite : il faut suivre pour ne pas perdre le contact. Si on veut les aider, si on veut qu’ils se protègent, dans leur tête et dans leur corps, il faut d’abord parler leurs mots.

« Une fille ne tombe pas enceinte toute seule : l’ignorance peut coûter cher »

Je suis rappeur, je travaille sur les mots, je fais passer des messages sur ce qui se passe autour de nous, mais je ne dirai pas que je suis un artiste engagé. Je ne sais pas bien ce que cela veut dire. Par contre, comme le chante Julien Clerc : « A quoi sert une chanson si elle est désarmée ? ». C’est comme ça que je vois mon métier : rester en contact avec les réalités, même en travaillant sur le rythme et les rimes. Quand on a une tribune, quand on a la possibilité de changer les choses, il faut y aller et parler vrai.

Le journal télévisé rappé, on l’a produit pour ça : intéresser les jeunes à l’actualité en parlant vrai. Y compris sur la santé sexuelle et reproductive. Comme le rappe le présentateur du JT spécial consacré à ce sujet : « Il est temps de sortir de nos réalités / pour enfin oser parler de sexualité ». Pendant le journal, une barre d’info défile avec des hashtags Twitter et des messages assez cash : « Une fille ne tombe pas enceinte toute seule ; l’ignorance peut coûter cher ; m’amuser mon droit, me looker mon choix, me protéger mon devoir ». L’humour aide à prendre du recul. Cela permet qu’un message soit plus percutant, mieux compris. Du coup, il est facilement reprise et circule davantage. Comme dit le slogan du JT : « J’s8 jeune, j’ai mon mot à dire ! ».

Voir le Journal télévisé (JT) rappé sur la santé sexuelle et reproductive