A quinze ans, un peu après la rentrée, une de mes meilleures amies a commencé à avoir des vomissements. Lorsqu’elle m’a dit qu’elle était enceinte, je ne l’ai pas prise au sérieux. Elle m’a confié qu’elle ne savait plus quoi faire et moi, j’étais gênée, je lui ai répondu que ce n’était rien. Puis, la nouvelle est tombée : Coumba est morte des suites d’un avortement clandestin. Cela a été un véritablechoc pour moi.

Quelques semaines plus tard, lors de la journée mondiale de lutte contre le sida, j’ai assisté à une activité du Mouvement d’action des jeunes. Il y avait des sketches sur la planification familiale ainsi que sur les soins qui peuvent être apportés après un avortement. J’étais terriblement émue. Si j’avais été au courant plus tôt, et mon amie Coumba aussi, on aurait pu éviter sa grossesse précoce. J’ai compris que la méconnaissance brisait des vies et pouvait même tuer. Je me suis dit que j’aurais pu sauver cette vie-là. Et c’est cette révolte qui m’a poussée à m’engager.

« On n’écrit pas un projet en restant devant son ordinateur : il faut aller au-devant des réalités »

J’avais déjà fait des actions d’information sur le VIH/sida avec une association au collège. Mais après ce 1er décembre, j’ai adhéré au Mouvement d’action des jeunes dans mon district. Ils m’ont formée aux questions de planification familiale. Je chômais les cours pour y aller et mener des actions de terrain. Je transmettais les messages dans les écoles, dans le quartier. Comme je ne suis pas très haute de taille, avec des traits fins, les gens se demandaient ce que venait faire cette petite fille dans les séances de formation. En plus, j’ai le verbe facile et j’ose : je n’ai pas honte de prononcer le mot sexe ni de dire les choses. Des parents ont même interdit à leurs enfants de me fréquenter à cause de ce que je disais dans les causeries. Ils disaient que j’étais gâtée, que les blancs m’avaient transformée, que je poussais leurs enfants au sexe !

Néanmoins, les actions organisées dans mon quartier ont eu du succès. Les jeunes me faisaient confiance, alors ils m’ont élue présidente du district, puis présidente nationale. Depuis 2014, je préside également le Mouvement d’action des jeunes de l’IPPF pour la région Afrique. C’est un niveau plus politique : il y a beaucoup de réunions, de représentation officielle. Cela m’a éloignée du terrain, mais à chaque fois que je peux, je voyage dans le pays, surtout dans les villages. Être en contact avec les gens est une passion. On n’écrit pas un projet en restant devant son ordinateur : il faut aller au-devant des réalités. Là au moins je peux discuter avec les jeunes, tandis que dans les déplacements à l’étranger, tu ne vois que les aéroports.

« Il y a tant de sommets où on répète les mêmes engagements sans avoir évalué ce qui a été fait »

J’ai un défaut : si je pense quelque chose, j’oublie qui j’ai en face de moi et je dis les choses. Certains me voient comme une rebelle. Mais franchement, lors de certaines rencontres internationales, je trouve ça insultant de faire venir des jeunes de loin et de ne pas leur donner la parole. Soit disant, il n’y a plus le temps parce que les discours ont trop duré. Très souvent, même, la déclaration est déjà prête avant le sommet : les jeunes ne sont là que pour cautionner. On les instrumentalise et en plus on dépense de l’argent en vain : il y a tellement de sommets où on répète les mêmes engagements sans avoir évalué ce qui a été fait.

Mon père m’a dit un jour que lorsqu’on montrait quelqu’un du doigt pour l’accuser, les quatre autres doigts restaient tournés vers soi. Quelle est notre part de responsabilité, nous les jeunes africains ? Nous avons démissionné de la chose publique. Nous l’avons abandonnée aux politiciens et nous nous contentons de les montrer du doigt. A juste raison souvent, c’est vrai. Mais nous devons aussi nous remettre en cause. Pourquoi avons-nous laissé faire ? Nous devons nous réveiller sans attendre que les solutions viennent des organisations internationales ou de je ne sais qui. La jeunesse africaine doit se lever, elle doit briser le mur de l’ignorance et prendre ses responsabilités.